VIE SANS ORIGINE de Jean Pierre Vidal

Il est bon de lire et relire “Vie sans origine”, de recevoir des éléments naturels et de l’amour, la “rude leçon de la beauté” et de rejoindre “la liberté puissante de l’enfance” dans la distance “non fusionnelle” enfin acceptée, prendre ce “pont fragile” qui se risque au désir et raisons de l’autre.

     

VIE SANS ORIGINE    de Jean Pierre Vidal.
Éditions Les Pas perdus, 2003.

à Jacques Borel, à sa mémoire,

“Souffre-la toi aussi, la vie dans la vie, / la vie sans origine ni terme   (…)” Mario Luzi

  

        Préface de Marie Alloy :

      « Une déchirure peut nous ouvrir les yeux.

      L’espace intérieur est une mémoire où ne subsistent que des traces de sable. Les retrouver est retourner sur les pas d’une enfance où la souffrance fut détachement du sol natal, enracinement dans la libre révolte : elle enseigna l’abandon sans résignation qui est l’amour total. Ces traces, infimes blessures aux yeux du monde, sont la fertilité du monde intérieur. Elles en sont l’ébauche et le labour.

      Le songe auquel nous livrons nos gestes les plus profonds, ceux qui nous dépassent, plonge ses racines dans l’enfance. Elle est la source de nos raisons d’écrire et d’aimer.

      Sous la caresse, nous retrouvons le cri de la naissance et cette lumière surnaturelle, complice de la blessure. Fermant les yeux, nous la sentons frémir.

      Mais nos paroles n’étanchent pas sa soif. Nos actes nous engendrent dans un présent à la fois trop définitif et trop peu présent.

      Seule la prière, entière, jamais accomplie, est délivrance. Dans son recueillement bat le souffle de l’origine, la résurgence de l’enfance qui est silence et humus du désir.

      Lumière du cœur. Frémissement intime d’une communion. »

      © Marie Alloy

Ci-dessous un ensemble de monotypes réalisés pour le livre de Jean Pierre Vidal

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Parution d’un livre de Marie Alloy et lecture rencontre

Vient de paraître:

Février 2017 : “Cette lumière qui peint le monde”, écrits sur l’art.

   

éditions L’Herbe qui tremble.

Samedi 11 mars

dans l’auditorium de la Halle Saint-Pierre à Paris, à 15 heures, Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 75018 Paris. Métro Anvers ou Barbès-Rochechouart.

Venez rencontrer les poètes : Jean-Luc Despax pour son recueil Rousseau dort tranquille
et Claude Albarède pour Le dehors intime
Lectures suivies d’une rencontre avec les peintres  Marie Alloy et Denis Pouppeville qui ont accompagné leur poésie.

À cette occasion, Marie Alloy présentera Cette lumière qui peint le monde, un livre dans lequel, à travers l’analyse d’œuvres de peintres tels Turner, Bonnard, Jacques Truphémus ou Geneviève Asse, elle nous fait part de sa sensibilité.

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Le dehors intime de Claude Albarède

Le dehors intime de Claude Albarède


avec des peintures originales de Marie Alloy

      Format 14×19,5cm – 128 pages Prix 16€ – ISBN 978-2918220-43-5  Pour commander : chez votre libraire ou contact@lherbequitremble.fr  

Claude Albarède présente ainsi son recueil :

“Marcher à mots comptés au plus près de la terre et du pays profond. Trouver, sans trop souiller, quelques traces de l’homme, quelque empreinte du temps. Et humblement, au plus intime, offrir l’espace, nicher l’écho.  Pour mémoire inventive assembler les contraires, nouer les confluences, et, toujours ce chemin, entre source et chaos, que le poème trace à celui qui accorde.

Fendons l’écorce

pour faire entendre

la sève aphone

Forçons la pierre

pour exprimer

l’eau de la source

Accordons-nous ! »

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Lectures de Gérard Bayo

Par Françoise Hàn, Isabelle lévesque, et Claude Albarède

Neige suivi de Vivante étoile de Gérard Bayo

un article, parmi d’autres, à retrouver sur le site des éditions L’Herbe qui tremble  :

www.lherbequitremble.fr

Françoise Hàn

Françoise Hàn

(France)

Seuls les humains ont conscience de la mort

Il est possible, et c’est sagesse, d’attendre en paix sa propre mort comme conclusion normale de sa vie. Mais la mort de l’autre est inadmissible, la mort des autres en général peu soutenable. Neige de Gérard Bayo, s’ouvre sur la fin de vie, dans un digne silence,  d’un ami qui fut son éditeur et son traducteur. Avec des moyens très modestes, Rüdiger Fischer avait établi en Allemagne, dans un village forestier, un lieu d’éditions bilingues, voire trilingues, dénommé En Forêt – Verlag im Wald. Un poème porte ce titre, En Forêt, et s’interroge sur « ce qu’elle en pense, la vie / des discours qu’elle tient ».  Sans nommer expressément le disparu, plusieurs autres poèmes portent sa marque. Dans Les pommiers de Rimbach – du nom du village – la mort est évacuée en étant désignée comme un sommeil. Ailleurs, le titre, Ami, ta mort, est le premier vers qui se poursuit par « non loin / est encore féconde ». L’avant-dernier poème ne porte pas de titre, mais seulement (i.m. Rüdiger Fischer) et fait l’objet d’une note explicative au sujet d’une visite du dédicataire dans une ville polonaise, moins d’un an avant son décès, survenu le 4 juin 2013 après sa longue maladie.

La mention de la Pologne, pays martyr de la période nazie, entrecroise la mort récente d’un ami et les abominations concentrationnaires des années trente et quarante. La quatrième de couverture signale que le volume est une anthologie regroupant des poèmes de 1975 à nos jours. Mais les références ne sont pas mentionnées et l’ouvrage a sa composition propre. Si sa séparation en deux parties oppose la neige, blanche mort, à un astre vivant, un lien entre l’une et l’autre s’annonce à l’une des premières pages de Neige, avec le poème Vivante étoile.

Le lecteur habituel de Gérard Bayo sait que son œuvre ne cesse de s’interroger sur les camps d’extermination. Les évènements, essentiellement depuis la guerre  d’Espagne et la Deuxième guerre mondiale qu’elle préfigurait, sont évoqués à voix d’autant plus insistante qu’elle ne crie pas. Dans un poème qui porte le nom de combattants du ghetto de Varsovie : « à d’autres rues on a donné / le nom des disparues. Le chemin passait là. // Seul l’invisible existe encore. » Le poème  suivant décrit un lieu abandonné : « Derrière le portail il neige / du silence et du temps, il neige encore / de la durée. » Un peu plus loin, « Des pas humains / le chemin ne veut plus […] Durcit la neige / au pied des arbres et s’éteint ». Une mention finale : « Treblinka, avril » révèle que le poète se tient devant un camp de la mort, le deuxième plus grand après Auschwitz.

Seuls les humains ont conscience de la mort. Mais ce n’est pas tant sa présence que la présence des morts qui habite ce livre. La différence est capitale. à deux reprises, d’abord dans Neige, puis dans Vivante étoile, l’auteur s’adresse à Macha, adolescente survivante du ghetto de Varsovie, qui tint son journal de 1941 à 1943, de Vilnius au camp du Struthof. « Au matin, les oiseaux / du fleuve ne se noient pas, Macha, et le soleil irradie / à travers les branches » lui dit-il dans le poème Terrestre. à Rosa Luxemburg, communiste allemande assassinée à Berlin en 1919, il assure : « les siècles encore, / te demandent au parloir ». Les vivants d’aujourd’hui ont partie liée avec ceux d’hier. Un même amour les englobe tous : « Aime-moi. Les morts ressuscitent ».

Le choix anthologique n’a pas retenu l’espoir que l’on percevait dans Pas Encore (2009). Ici, « seuls peut-être les morts / n’en finissent d’espérer ». Comment peut-on communiquer avec eux ? Le poète se méfie des mots, traîtres quand ils servent la propagande d’un pouvoir maléfique, ou impuissants : « Ne restent / que des mots, / sur la page. // Et celui-là, / (le béquillard, l’avorton), l’ultime // dit mal ». Ils ne sont pas la parole : « sans un mot parlait / la parole ».

Ouvrons ici une parenthèse. La défiance à l’égard des mots n’exclut pas la précision avec laquelle sont nommés quantités d’animaux et de végétaux qui peuplent les poèmes : bihoreau (sorte de petit héron), cincle (passereau qui plonge dans les torrents pour y attraper sa nourriture), oxalis (une herbacée) – ce ne sont là que des exemples. L’exactitude des vocables témoigne de l’attention portée par le poète à tout ce qui, par son existence, fait signe vers un poème non-écrit.

Fermons la parenthèse. Silence est de loin le terme le plus répété de tout le livre. On l’a vu plus haut associé à la neige dans une signification létale. Peut-on communiquer par lui avec les défunts, rétablir avec eux une vision de l’Histoire qui surmonte les atrocités ? Tel pourrait être le sens profond de Neige. Un des interlocuteurs du poète est le peintre Chaïm Soutine, né à Minsk (Biélorussie) en 1893, émigré en France, recherché sous l’occupation en tant qu’artiste juif par la police de Vichy.  Parce qu’il devait se cacher, il fut opéré trop tard d’un ulcère et en mourut dans un hôpital parisien le 8 avril 1943. Toi debout contre un mur bas est à la fois un intertitre de Neige et le titre d’un poème. Celui-ci porte in fine la mention Soutine au Blanc, Indre, et en exergue une exclamation « à la vie ! », la même qui sert de titre au poème sur Treblinka. Un autre poème, inspiré par un tableau de la salle Soutine au Musée de l’Orangerie, y voit silence et majesté.

Rimbaud, à qui Gérard Bayo a consacré plusieurs essais, est interpellé directement : « ta parole vole en éclats / Arthur Rimbaud, elle n’est plus ». C’est que la « vraie vie » qu’il invoquait est toujours absente. Autres grandes figures du passé : Paul Celan, Goya, Hölderlin, Beethoven, éric Satie, Anna Akhmatova, Bonnard, Gauguin, Emily Dickinson.

Ces voix, dont on dit communément qu’elles se sont tues, continuent de nous parler, mais le dialogue se perdrait dans le désert, s’il avait lieu à l’écart des vivants. Or ils sont bien là, les anonymes de tous les jours, « la femme jeune et belle sur une terrasse », « cet homme dans le café mal éclairé », « celui / que tu vas rencontrer / as déjà / rencontré », en banlieue parisienne, devant les péniches stationnées à Courbevoie, ou lors des nombreux voyages du poète dans plusieurs pays européens : « Où donc est la frontière du monde ? » Nulle part, puisque « en nous se tient l’univers ». Mais à la dernière page, « la nuit vient et s’étend / jusqu’aux confins supposés de l’univers. » Ce n’est pas un constat pessimiste, cette nuit n’est pas ténèbres hostiles, elle a besoin de la solidarité humaine : « Pour que tu veilles / sur elle, / la nuit vient ». Est-ce une nuit porteuse d’étoiles ? Le poème n’en dit rien, c’est à la page  précédente que nous lisons ces paroles de l’ami en allé, Rüdiger Fischer : « Entre les feuilles de vigne et la renouée, les étoiles / de plus en plus nombreuses ». La ligne de crête du recueil passe par les étoiles.

Gérard Bayo : Neige suivi de Vivante étoile

éditions L’Herbe qui tremble, 2015. www.lherbequitremble.fr

218 pages 14 x 19 cm, 14 €

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Gérard Bayo, Un printemps difficile, anthologie poétique

Aquarelles de Marie Alloy. Éditions L’herbe qui tremble, 2014 – 236 pages, 18 €

Une lecture par Isabelle lévesque,

à retrouver sur : Recours au poème

Parfois pour les donner

ceux qui portent les mots s’en délivrent

et d’eux les reçoit

la vie qui commençait à peine

« la seule / qui paraissait attendre »

Suggestion de brume. Entrer par le gris : volutes et le tourbillon « difficile » livrera-t-il le passage vers le printemps que le titre nomme pour aussitôt le réduire ? Regarder d’abord (lire) les aquarelles de Marie Alloy : elles tremblent de naître. Trois d’entre elles sont reproduites en couleur, rapprochant l’espoir logé quelque part (entre ciel et terre : sur le papier, deux horizons). Livre offert à Rüdiger Fischer.

Voilà le seuil de Printemps difficile, une anthologie1 des poèmes de Gérard Bayo. C’est aussi le titre des deux grandes parties du livre, coupées par deux autres titrées « Didascalies » I et II.

Frappante entrée : les personnifications proposent les personnages d’un conte secoué par des arbres, « peuplier », « bouleau », qui chantent et se meuvent. Leurs sanglots éveillés par le temps revenu au présent des douleurs et d’un amour, comme une chanson réconcilierait autour de la mémoire vivante le souvenir très ancien revenu peupler le long des routes une allée d’arbres animés. Des troubadours ressurgis par la visite d’un musée (« Quand Bernard de Ventadour se rendait à Dalon… ») à la « rue Klazinczy », l’ancrage déplacé de l’espace et du temps :

« Ce monde ne passera pas,

le temps en a besoin. »

Entre chacun, des ponts, le « miroir » de la route pour le ciel, une composition quotidienne et fantastique car les hommes ne s’y rencontrent guère. Alors le chant s’orchestre de répétitions avec gradations : l’allongement des groupes rythmiques cadence les anaphores et les fait vivre d’un élan qui se propage – au paysage seul :

« Chant d’un peuplier immense qui s’égoutte. »

Puis

« Chant d’un peuplier qui s’égoutte et ne dit rien qui ne soit [révélé.] »

Larmes et pluie porteuses. Autour de ce qui est, l’arbre s’enroule, il gagne le ciel devenu « roux », écureuil ou « branche » du ciel que le passage d’un avion fait paraître dans un balancement entre « rien », le pronom indéfini qui tout de même désigne quelque chose (étymologiquement), et les menues faveurs apparues, la forêt les garde autant qu’elle les montre.

Ainsi notre conscience happée entre dans le texte, s’éveille au rythme des vers, à ce qui est suscité, regardé par le poète. Attentivement.

Pour chaque poème, un titre, en capitales. Sous forme de groupe nominal ou de phrase courte le plus souvent. Indication d’un motif. Passage par un pôle où le sens veille : PAR LA PORTE DE LA SALLE D’ATTENTE (lire entre les lignes), LE CŒUR POURPRE (l’amour bat dans les feuilles). Les poèmes peuvent suivre un fil narratif, promenade où le temps se mesure à l’ombre portée des arbres, au frémissement de leur feuillage. Tout est attente : la vibration seule des feuilles, comme un cœur, fait trembler le chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre. Atteindre ne se peut, la suspension fragile devient miracle, signe de vie :

« Dans l’arbre quand le vent fut tombé, la seule

des feuilles qui remuait encore

était aussi la seule

qui paraissait attendre. »

Long premier vers (11 syllabes) : il penche, ce seul mouvement désormais fait naître ces trois vers, plus courts (8-6-6 syllabes). L’attente ne se résigne pas, elle vit de ce laps qui, en passant, se suffit à lui-même. Une « douleur » nous fonde, ne pas l’éteindre, l’étreindre. Le poème le peut, déployant un espace où le sanglot se signe, même silencieusement. Les arbres nous entourent, témoins de larmes et feuilles, les « frênes » au tronc dur. Vrai, ce qui « se meurt », heure « éternelle»  pourtant :

« Blesse, printemps. Blesse

encore. »

en cette blessure, le poème remonte la douleur, intègre la « violence » que « nous faisons/ semblant d’oublier ».

Des ellipses gagnent le texte, semblables à des blessures, elles offrent aussi l’apaisement des mots qui s’engendrent :

« De loin en loin

des noms. Et

en arrivant la mer est bleue, le ciel clair

étonnamment (peu importe, demain

nous embarquons).

Peu importe, le ciel bleu. »

L’enjambement d’abord qui fait hâter la lecture puis la juxtaposition, dans le dernier vers : elle établit cette assertion du ciel bleu comme une réalité indiscutable. Au pied du mur, ce constat. Il renverse de lointaines perspectives au profit de l’immédiat assentiment à ce qui est. Équivalence établie : le va-et-vient décline les mots, change la personne des verbes pour que se reflètent les instances :

« Nous connaissons les noms. La lumière

nous connaît. »

Pronom sujet devenu objet en ce transfert des qualités et capacités. Aux disparus confier cette lumière, porteurs de feu, ceux qui rejoignent alors qu’ils reculent :

« Il nous manque tant de jours, amis. Tant

de vie nous manque. »

« En tous lieux, en tous temps, nous sommes

chacun n’est là

qu’une seule fois. »

Le prix de ce miracle : la disparition. « Survit. » Un seul mot sur le dernier vers de l’un des poèmes de la dernière partie. Résistance en toutes lettres, lumière. Les détails précis entrent dans le poème : souvenir d’un « in-64 », de Baczynski, poète résistant abattu à vingt-trois ans en 1944, lors de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Plus loin Gérard Bayo dédiera un poème à Macha Malnikaite qui raconta dans son journal la persécution des juifs de Vilnius et sa survie, à quatorze ans, dans les camps de concentration de Strasdenhof et Stutthof.

Le lieu ancre également le poème en le liant aux êtres : page 210, Breslau, où une note de l’auteur nous signale qu’est née Edith Stein, disparue à Auschwitz en 1942 – Breslau, la Wroclaw polonaise, ville martyre de Silésie, dont le gauleiter Karl Hanke fit pendre les habitants par centaines, notamment des élus municipaux condamnés pour « défaitisme », assiégée par l’Armée Rouge, ville rasée, population massacrée2

« Corps sans tête,

sans mains,

sans pieds – qui demandait

d’aimer la vie. »

Seul soleil disponible : « Le soleil qui est en toi. »

Parmi les horreurs, les tortures et les massacres, Gérard Bayo veut voir et nous dire ce qui subsiste d’humanité, ce qui peut faire vivre l’espérance. Malgré tout. Sans se voiler les yeux.

De Dordogne en Bretagne, d’Espagne en Pologne ou en Roumanie, subsiste le souvenir des souffrances infligées à des hommes par des hommes, mais aussi celui des luttes et des résistances pour l’humanité et la fraternité.

Aimer, chanter, vivre.

« Seule la vie

nous surprendra sans fin. La mort

viendra trop tard. »

(Ce sont les derniers vers du livre.)

Tout ce qui disparaîtra (énoncé au futur inéluctable dans LES UNES APRES LES AUTRES) n’empêche pas ce qui fut et le « soleil du matin » de poindre. Énumération de verbes répétés (« s’éteindront »), verbes condamnés à ne pas trouver (« chercheront tes épaules et les étages »), négations conclusives : l’achèvement devient la condition pour reparaître. Soleil « éperdu », à la clôture du poème, les vers courts le consacrent et affirment sa présence comme, la nuit, le soleil continue à exister : long fil de soie, « couleur de sang séché », « langue/ jamais parlée ». À inventer après tout ce qui vacille.

Ce peut être une blessure « brûlée/ dans la fleur de pommier », ce qui reste parfois rejoint le pire gisant, plein de secousses. Nature semblable, elle cueille l’or de ses fleurs, « le ciel est plein de séraphins » et « leurs ailes aux mains coupées », leurs ailes pourtant, demeurent au ciel comme vivent les sanglots, les vestiges et les ombres longtemps après s’ils se lèvent. Ce sont parfois les arbres (hêtres, bouleaux, érables, mélèzes, ormes…) ces témoins jamais assoupis : sous certains, une ombre, une carence (une plaie peut-être) continue. Les noms effacés des mémoires, restés sur les boîtes aux lettres. Intacts noms sous des ruines et des « villes lasses », des lettres encore, « boîtes aux lettres du ciel sans clarté ». Alors se révèle le miracle de neige, une préservation sans couleur, pureté de givre pour la vie, « un mot », comme allé rejoindre l’unité vers la jetée, une « fleur qui meurt dans les fossés du polygone », « de nacre », l’âme pour « une lumière/ qui semble de demain, qui aide/à vivre ».

Autre témoin ou victime, l’ « immeuble  abandonné » au-dessus duquel peindre l’or imperceptible pour les générations futures. Ne pas laisser les ruines sans devenir. La syntaxe coupée laisse aussi entrer à sa suite un possible :

« […] sans doute autour de nos pieds

existe

mais pas facile

d’imaginer où existe. »

Complément absent d’une grammaire suspendue où l’imperceptible (prévisible) gît dans le silence. Le verbe répété (« existe ») porte une réalité supposée, un principe où construire peut se limiter à la légèreté d’un geste menacé. L’or cependant, lumière autant qu’humanité, reste. Ancre certaine d’une civilisation massacrée, encre d’un poème dont le suspens dit la disparition mais aussi la trace.

Un fil narratif tend le texte vers un futur en marche, boitant ou blessé, il demeure : « la parure/ de neige, inchantable – // chantée ». Porté par la préposition sans fin « avec », en fin de vers, unissant le désenchantement et la levée possible d’une parole murmurée ou sécante (elle vit).

À l’appel de l’ « érable » répond le « rivage », lettres-sons inventant un chemin d’arbres vigies ou d’écho dans le poème où les mots, par le son – a ici –, se visitent, se lient et accompagnent une progression.

L’interpellation, le conseil et l’ordre (« regarde », « comprends », « va-t-en ») se réduisent le plus souvent aux verbes énoncés sans être développés, ponctués de neige, celle de l’est et du songe.

« De quelle sorte de fleur

la rose est-elle le commencement ? »

La diction n’entame ni le sens ni son pluriel, dans l’espace elle propose une floraison, naissance impossible ou incertaine de sa fin noyée par le passé. Sur la beauté, on lit sa marque, dans le nom « fleur », cependant que son initiale dans le devenir promet autre chose. Réponse à ce qui cesse, « un autre merle » et toujours, « psalmodie ». C’est peut-être la neige, elle dépose ses flocons au multiple des angles, dans le poème. L’été même, le flocon le garde (il n’est plus seul, le passé qui fond, se transforme). Dates et lieux précis, noms propres, « l’inscription » dans le poème.

« [M]eurs

Comme une graine en terre […] »

L’accompli ne se dérobe pas.

Isabelle Lévesque

  1. Les poèmes de cette anthologie sont extraits d’une vingtaine de recueils publiés chez différents éditeurs de 1975 à 2010. Certains poèmes ont été remaniés, d’autres sont inédits.
  2. Plus de 20 000 civils tués, 60 000 soldats soviétiques tués ou blessés, 29 000 soldats allemands…

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Autre livre de Gérard Bayo lu par Claude Albarède : UN PRINTEMPS DIFFICILE

Un printemps difficile
Anthologie poétiquepeintures de Marie Alloy
234 p, 18 euros.
Isbn : 978-2-918220-18-3
14×19,5cm

 

 

 

bayo

Notes sur Un printemps difficile

Claude Albarède

Pour ce printemps 2014 qui très vite a gagné sur l’hiver, Gérard Bayo publie aux belles éditions de L’herbe qui tremble une anthologie poétique reprenant ses poèmes depuis 1975 jusqu’à nos jours sous le titre de « Un printemps difficile », qui fut déjà le titre de son recueil paru en 1975 aux éditions Guy Chambelland, et qui reçut le prix Antonin Artaud 1976. C’est dire si cet ensemble est fondamental dans l’œuvre du poète.
Fondamental parce qu’il brasse le fond de la conscience des hommes, soulevant à mesure du déroulement créatif les profonds échos des tragédies, non que l’idée prenne le pas sur le texte, mais le poète maîtrise son écriture pour, au vif des mots, sculpter l’émotion dans le sensible du lecteur :
« ta mort serait : un dôme de plus
de silence dans la vallée.

Un jour nouveau : en toi la blessure

la plus profonde
et la plus chère.

Ta mort où seule conduit la vie »

Il faut en effet mettre en relief l’efficacité de l’écriture, surtout quand il s’agit d’une anthologie, c’est-à-dire d’un ensemble qui donne à voir le sens total d’une œuvre. Bayo, tel son maître Paul Celan, travaille au tranchet. Sa langue écarte les fioritures et met en lumière les coupants du verbe, non seulement par sa prosodie aux arêtes vives, mais aussi par la densité cruciale du langage qui, tels les engrenages des granits, renvoie la lumière en l’absorbant. Ses retours d’éclats, comme des coups de rein, donnent vigueur au poème :
« Les nuages au matin ; au fond

du ciel à des milliards de kilomètres
jusqu’
ici vient du beau temps

de l’accès jusqu’au seuil
salut l’ami !

de ce matin tranquille, l’enfance

à l’envers s’entrouvre
comme à l’endroit. »

Forces et contrastes, nous les retrouvons dans les aquarelles de Marie Alloy qui accompagnent ces textes, et nous voyons comment les rapports subtils des lignes et des masses, graphismes et couleurs, sont en correspondance avec l’essence des poèmes.
Car au-delà du fondamental, Gérard Bayo exprime l’essentiel. Le fondamental crée racines, l’essentiel émane et féconde. Combien ces deux éléments sont complémentaires pour parachever le printemps ! Un printemps, certes difficile, comme sont difficiles les rapports humains et la contradictoire possession de soi-même à travers les échappées douloureuses. Et plus difficile encore pour le poète la saisie exigeante de son art. C’est à ce prix que Gérard Bayo réussit une poésie sans concession, où l’humanisme sculpte son empreinte comme celle du passant sans frontières.

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Le fil de l’oubli, par Pierre Lecoeur

Extrait d’une note de lecture par Pierre Lecoeur, à paraître dans la Revue EUROPE (droits réservés)

2016-03-05 20.56.10

Françoise ASCAL : Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli, monotypes de Marie Alloy (éditions Al Manar, Alain Gorius, 15 €).

       ” Le Fil de l’oubli, poème narratif en prose publié dans une première version aux éditions Calligrammes, explore une mémoire familiale hantée par le deuil impossible et l’omniprésence des morts. Les cinq sections du récit s’attachent à restituer la destinée et la vie intérieure d’un homme, Joseph, le grand-père, mort dans un hôpital de campagne en 1915, de son épouse, Élise, de ses deux enfants, Marthe et Gabriel, et de sa petite-fille, non nommée car elle est celle qui dit « je ». Celle-ci tente, au-delà de ses propres souvenirs et de ce qu’elle sait par ouïe-dire, de restituer la présence de ces êtres humbles, de porter leur drame à la lumière, pour mieux en révéler l’opacité, et la dimension tragique. Elle y parvient si bien que le lecteur a, à maintes reprises, le sentiment de voir prendre forme sous ses yeux sa propre histoire, collective mais également personnelle, intime, tant les expériences relatées s’inscrivent sur fond d’universel – non pas l’universel de la généralité mais d’une singularité qui paradoxalement est toujours la même. Chaque section du poème est consacrée à l’un des membres de la famille ; chacune est introduite par une carte postale écrite par Joseph à ses proches peu avant sa mort. Ce rappel d’un drame fondateur est emblématique de la démarche de l’écrivain,  dont le discours est hanté par l’origine.  Ces missives, retrouvées par la narratrice, ne contiennent que de pauvres paroles, celle d’un homme du peuple qui souffre et ne songe pas à se plaindre, et si elles disent autre chose que les linéaments du quotidien le plus banal (les symptômes du malade, les travaux des champs dont il est exclu…), c’est en creux, comme il apparaît de manière saisissante dans le dernier courrier, alors que Joseph se sait condamné. Quatre initiales  inscrites avant la signature révèlent sans le dire tout ce qui l’attache à son épouse, et que sa pudeur refuse de livrer au grand jour. Ce cryptogramme émouvant renvoie, plus essentiellement, au secret de l’écriture, secret qui fascine Gabriel, quand, enfant, il observe sa sœur Marthe répondre aux cartes de leur père. Toutefois, au pouvoir de l’écriture s’associe comme une ombre la conscience de son insuffisance. (Suite article à paraître)

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        L’exigence et la modestie qui président à la quête poétique de Françoise Ascal sont les valeurs autour desquelles Marie Alloy, auteur de nombreux livres d’artiste (avec Guillevic, Dhainaut, Emaz…), construit son œuvre peint, gravé et, plus rarement, écrit. Dans l’esprit d’un Sima, Marie Alloy explore des confins où la matière parvient à une forme d’essentialisation. On reconnaît cette recherche dans les monotypes qui accompagnent les mots de Françoise Ascal. Si le travail de l’encre peut suggérer des réalités concrètes, végétales notamment, le jeu sur la réserve, sur le rythme qui organise une matière brossée, ponctuée de jours, parsemée de traces et de griffures, ouvre à même les deux dimensions de la feuille l’espace du temps, de la mémoire ou des signes qui se superposent au monde pour le révéler. Ce milieu indécis et suggestif répond dans sa tonalité au chant étrange qui ouvre et ferme Le Fil de l’oubli :

                                                Entendez-vous parfois le bruit d’une faux ?

                                               Une vibration dans l’air,

                                               un bruissement de graminées qui chutent

                                              Est-ce l’aube ?

                                              Est-ce le crépuscule ?”

© Pierre LECŒUR

DSC03076monotype, Marie Alloy

 

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Résolution des rêves

Résolution des rêves, un ensemble de poèmes de BÉATRICE MARCHAL

Parution en ce mois d’avril 2016, d’un livre de poèmes de Béatrice Marchal, chez l’éditeur L’Herbe qui tremble, accompagné de reproductions d’aquarelles et lavis de Marie Alloy.

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Lien vers les éditions L’herbe qui tremble, de Thierry Chauveau

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Un bleu d’Octobre

LECTURES DE FRANÇOISE ASCAL :

Ayant accompagné deux ouvrages de Françoise Ascal, “Noir-racine” et “Le fil de l’oubli”, édités chez Al Manar, j’aime découvrir et donner à partager les lectures qui en sont faites, comme pour le tout dernier : “Un bleu d’octobre”, paru aux éditions Apogée.

Lien vers un article d’Isabelle Lévesque. (à lire aussi ci-dessous):

Et ces photos personnelles, de terre, d’eau et de lumière, pour accompagner Un Bleu d’octobre, d’une autre manière :

2016-03-17 16.21.41-2 Photo D.R. M.Alloy

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Françoise Ascal et Marie Alloy, chez AL MANAR

Aux éditions AL MANAR, d’Alain Gorius :

Noir-racine précédé de Le fil de l’oubli, de Françoise ASCAL

Aquarelles et monotypes de Marie Alloy

Françoise Ascal est poète et écrivain. Elle a souvent travaillé avec des peintres, et donné de nombreuses lectures accompagnées de musiciens. À travers différentes formes (poèmes, récits, notes de journal, livres d’artistes) ses textes interrogent la matière autobiographique, explorent la mémoire et ses failles, croisent l’intime et le collectif.

Un tirage de tête à vingt exemplaires numérotés et signés accompagne cette édition. Il est enrichi de nombreuses peintures originales de Marie Alloy:

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Photos prises dans l’atelier, les états du travail:

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