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Contre le mur du temps
Un texte inédit de Jean Pierre Vidal, écrit à l’occasion de l’exposition d’un ensemble de peintures intitulé “Terre d’ombres brûlées” et de gravures de Marie Alloy, à la Collégiale St Pierre Le Puellier d’Orléans en 2001,
Contre le mur du temps
La Vérité n’est pas venue au monde nue, mais à travers des images et des symboles. Il y a une régénération et une image de la régénération. En vérité l’on doit renaître par l’image. Évangile de Philippe.
Il est bon que l’on puisse voir les œuvres de Marie Alloy dans la collégiale de Saint Pierre-le-Puellier d’Orléans. En effet, cette artiste vit en termes renouvelés la question du rapport entre art et spiritualité, poursuivant ainsi de manière courageuse le travail accompli par des hommes comme Joseph Sima (1891-1971), Léon Zack (1892-1980), ou même Alfred Manessier (1911-1993). Dans cette église ” désaffectée ” (le mot fait frémir…), on entendra une voix qui refuse de rompre le lien vivant et secret avec les langues anciennes de la prière et de la peinture, qui ne sont pas pour elle des langues mortes. Mais cette voix se refuse avec une égale opiniâtreté à revenir en arrière dans la pensée comme dans l’acte de l’art. Seul le présent peut inventer le présent et la présence réelle.
Cette peinture n’exprime aucune nostalgie de l’âge religieux de la peinture et du monde. Elle ouvre une brèche dans ce monde qui nous étouffe, ce monde qui ne devrait pas être, qui est à la place de celui qu’elle montre possible. La peinture est un refus de ce monde, celui qui empêche par son existence et sa durée le monde vrai d’advenir. Cela sans aucun manichéisme, car elle aime le monde qu’elle veut simplement et modestement aider à sauter dans la lumière.
La peinture interrompt la durée du monde de l’infamie. Tant que vit le regard sur la toile, tant que vit la pensée qu’il suscite, ce monde de fausseté et de fatigue est aboli, et la jeunesse possible apparaît.
Si la religion est morte, l’art ne la remplacera pas, mais on peut inciter par le regard à une vie nouvelle qui ne peut attendre car trop de millénaires nous étouffent et font notre fatigue. La peinture de Marie Alloy oppose donc à la fatigue de ce temps une énergie violente et contrôlée qui ne se perd pas en exaltation de la couleur et de la forme : elle donne des coups de boutoir dans le mur du monde (qui est le mur du temps) pour ouvrir une issue non rêvée, une fenêtre praticable sur un réel et non sur une vaine évasion.
Une énergie puissante, obstinée, virile, mais non pas une énergie pour l’énergie, non pas une puissance pour la puissance. Une énergie pour ouvrir le monde. Peindre est ici acte de foi. Le peintre ne se résigne pas à la catastrophe et ouvre des « portes de toile » (le mot est du poète Jean Tardieu). Portes qui, si nous avions le courage de nous y glisser, nous donneraient un chemin de fraîcheur, tel un conte véridique, une fable de clarté.
Ainsi dans l’église désaffectée ce n’est pas un nouveau culte qui est rendu, mais un acte rigoureux qui est accompli, et qui s’offre à la participation de notre propre exigence comme tout art sérieux depuis Lascaux.
Que l’amateur qui visite cette exposition sache qu’il aura ici l’occasion rare et bouleversante de voir sous ses yeux éclore une maturité d’artiste. La maturité, mystère qui ne saurait se commander. Chaque maturité de voyant rend le monde au présent, rend le présent au monde.
© Jean Pierre Vidal, août 2001
Acrylique sur toile sablée, 2000
LES ATELIERS MORET à Paris 5ème
Ayant obtenu en novembre le prix de gravure 2014 des ateliers Moret au salon des artistes Orléanais,Marie Alloy se prépare donc à faire aciérer une de ses plaques de cuivre et à participer à un tirage avec toute l’équipe.
Ci-dessous présentation via un article extrait de la revue Matrice. Tous droits leurs sont réservés, texte et photos.
Les Ateliers Moret
Les Ateliers Moret, imprimeur d’estampes en taille-douce, sont situés rue Saint Victor, dans le cinquième arrondissement de Paris.“L’imprimerie en taille-douce regroupe toutes les techniques de gravure en creux : pointe sèche, burin, manière noire, aquatinte, eau-forte et etc …
Les origines de ce métier sont attribuées aux orfèvres des 13e et 14e siècle qui, pour garder un modèle de leurs travaux, eurent l’idée d’appliquer par pression un papier sur le métal gravé. Les presses suivirent, d’abord en bois, puis en fonte… Aujourd’hui, l’électricité a remplacé la roue, seule évolution notable du métier qui pour l’essentiel est resté identique.
Lorsqu’aux siècles précédents, certains graveurs n’effectuaient que des gravures non originales, leurs imagination n’était pas sollicitée puisqu’ils ne devaient que reproduire, le plus fidèlement possible, des dessins effectués par d’autres. Il en était de même pour leurs imprimeurs qui étaient considérés comme de simples artisans.
Actuellement un graveur qui crée des gravures originales, se hisse au niveau d’un artiste et son imprimeur est également amené à dépasser son métier par ses créations techniques : il devient un artisan d’art.”
“Toujours en accord avec le graveur, le taille-doucier intervient à différents niveaux :
Tout d’abord dans le choix du papier : selon sa texture, au grain plus ou moins gros, il est choisi en fonction de la finesse de la taille de la gravure et de sa couleur, du blanc au crème, en fonction de l’ambiance de la gravure.
Puis dans le choix de l’encre : selon sa texture, une encre plus grasse donnera plus de velouté, une encre plus sèche accentuera les contrastes ; selonsa couleur, les noirs donnent le meilleur rendu, mais peuvent être nuancés en noirs chauds bistres ou en noirs bleutés suivant l’ambiance désirée par l’artiste.
Puis dans la manière d’essuyer la plaque de métal : lorsque celle-ci est encrée, elle est ensuite essuyée par la paume de la main de l’imprimeur. Ce paumage de la surface imprimante peut être plus ou moins prononcé à certains endroits de la gravure, de façon à donner inversement plus ou moins de force au trait. Un retroussage peut en outre être employé, il consiste à faire remonter l’encre du fond de la taille vers les bords latéraux par un essuyage léger, souple et précis qui renforcera certaines tailles.
Enfin dans la manière d’aciérer la plaque de cuivre : il s’agit d’un dépôt d’acier par électrolyse. Ceci a pour avantage de durcir le cuivre imprimant qui permet d’effectuer plusieurs tirages sans user la gravure et d’obtenir des couleurs sans oxydation du cuivre.”
“Nos travaux vont de l’imagerie à l’estampe originale signée et numérotée.
Notre profession souffre actuellement d’une méconnaissance du public pour qui, il est vrai, la distinction des différentes techniques d’impressions reste difficile à saisir. L’impression en taille-douce étant une affaire de gens de métier et de plus une technique trés démonstrative, nous n’hésitons pas à ouvrir la porte de notre atelier aux visiteurs ainsi qu’à participer à de nombreux salons d’art afin de montrer notre travail au public et faire participer les enfants à découvrir le métier et la technique formidable qu’est la gravure.”
8 rue Saint Victor
75005 Paris
01 43 26 51 67
http://lesateliersmoret.free.fr
Qui est Jeanne Champillou ?
Marie Alloy, en ce début novembre 2014, vient de recevoir à Orléans pour ses estampes exposées au Salon des Artistes Orléanais le prix de gravure Jeanne Champillou, il est donc légitime d’évoquer ici le parcours de cette artiste si attentive au monde rural du Loiret afin d’aider à la faire connaître. Une association Le Clos de Joye-Jeanne Champillou se charge de préserver et diffuser son œuvre.
Article extrait de wikipedia:
Jeanne Champillou est une artiste française autodidacte, peintre, graveur et céramiste, née à Saint-Jean-le-Blanc dans le Loiret, le 4 avril 1897, et morte à Orléans, le 22 mai 1978.
D’une famille de vignerons de l’Orléanais, du côté paternel, et d’artisans menuisiers tourangeaux, du côté maternel, Jeanne Champillou s’intéresse au dessin dès son enfance. Bonne musicienne, elle apprend le piano dans une pension tenue par des religieuses, puis à l’École de musique d’Orléans (l’actuel conservatoire). Ainsi pourra-t-elle vivre de leçons particulières de piano données à son domicile.
En 1916, elle est initiée à la gravure par Kralicek, un artiste d’origine tchèque blessé de guerre et, dans les années suivantes, elle se perfectionne avec un graveur solognot domicilié à Jouy-le-Potier, Maurice Bastide du Lude, qui lui apprend la technique de l’eau-forte dans son atelier au château du Lude en Sologne et met sa presse à sa disposition. Pendant les années 1920–1930, elle parcourt à bicyclette les campagnes orléanaises, réalisant des portraits de paysans et des scènes de moisson ou de vendange. Elle expose régulièrement à Orléans et gravera, au cours de sa vie, plus de 400 planches.
En 1947, elle se lance dans la céramique, à laquelle elle consacre désormais l’essentiel de son temps. Néanmoins, elle décore également des chapelles ou églises orléanaises (chapelle des Blossières, Notre-Dame-des-Miracles et Saint-Paul). Elle est l’auteur d’une céramique représentant Jeanne d’Arc dans l’église Saint-Étienne de Jargeau.
La plupart des œuvres de Jeanne Champillou sont conservées à Orléans. Certaines, cependant, appartiennent à des musées de Paris, Chartres et Milan.
Sources
- Jeanne Champillou. L’œuvre gravé. Le Clos de Joye-Jeanne Champillou, s. l. [Orléans], 1994
-
Jeanne-Champillou et son atelier
Françoise Jouanneaux, « Jeanne Champillou », Parcours du patrimoine, 2012 ( extraits du journal de Jeanne Champillou en ligne, document de témoignage exceptionnel
Noirs Soulages
Sélection d’un ensemble de notes écrites de Marie Alloy
Exposition Soulages, XXI siècle, Lyon 2012
L’établissement du noir
Le nom de chaque tableau, un non à la nomination. Chacun est sans titre, sans identité propre ? Un vide au centre de nous-même. L’absence de nom. L’absence ultime ? Indifférence, inexistence ? L’impersonnel revendiqué. Mais non l’indifférencié. L’impersonnel, l’anonyme.
Noirs qui sont des gris, des blancs, des lumières. Noirs inaccessibles, insaisissables.
Vibrations lumineuses de vagues successives, certaines instables, d’autres structurées, noires, luisantes ou mates.
Noirs de carbone enluminés de suies et de neiges.
Diamants de silences striés par l’incandescence de reflets bleus, à la limite du noir comme l’indigo de la nuit.
Brillances labourées d’ombres.
Icônes propices à la méditation. Une suite nimbée par l’aura d’un long mur blanc qui éclaire chaque station de toile d’une lueur indéfinissable.
Les paillettes de la surface peignée par les gestes tireurs de râteaux, de balais, de racles. Une surface qui n’en est pas une, dire un bas-relief serait plus juste.
Qu’est-ce qui éclaire ici ? Pour quel salut par l’enfermement (peut-être sacré ?) dans le noir ?
Où il est question de voir en aveugle, de peindre par transparence sur le sombre, avec une rigueur extrême, en restant dans le sombre. Hardiesse en rien macabre.
Vivante, impressionnante et en même temps un peu triste. L’énergie des noirs alimentée par les mouvements constants de la lumière n’empêche pas une certaine mélancolie de s’installer. Peut-être est-ce l’accumulation des tableaux qui produit cet effet. Sans doute le face à face avec une seule toile de Soulages produit-il plus d’énergie positive que la présentation séquentielle des multiples combinaisons du noir.
Sobriété qui m’apparaît comme un excès.
Sensualité raidie, sensualité contrôlée.
La toile devenue table d’un travail obscur, griffée selon les lois d’une règle qui n’accepte à la limite que les seules efflorescences des rayures de clarté.
Peindre, entrer dans un ordre austère qui pourtant combat la nuit, le deuil.
Un fin duvet de lumière irise les sillons de l’asphalte, la brosse accroche son goudron à la lumière, elle a tant besoin d’elle pour survivre.
Attente d’une révélation ou d’un événement imprévisible face au granit étanche d’une noire pierre – tombale ? Interprétation sans doute abusive, voire romantique, mais qui arrive à l’esprit immanquablement.
Infimes passages entre ces failles noires, ces plaies grises et les ruisseaux de clarté.
Stries, sortes de stores qui tantôt s’ouvrent, tantôt se ferment selon l’inclinaison du regard.