Pour la petite histoire…

L’amour de la gravure vient sans doute de mon enfance. Dans les
maisons familiales, il y avait beaucoup d’estampes accrochées aux murs.
Elles étaient assez hétéroclites, originales ou reproduites, des scènes de
guerre, représentations religieuses, paysages de campagne, mais elles se
sont gravées dans mon imaginaire d’enfant à force de les côtoyer. J’avais
également un grand oncle qui collectionnait des gravures et m’a permis
de les prendre en mains, de les observer de près, avec passion. J’étais
fascinée, dans cette proximité intime avec le travail du graveur, par la
richesse des détails et la force du clair-obscur. J’ai éprouvé pour elles plus
que de l’admiration, le sens du sacré.
Je me suis initiée à la gravure à partir de 1970, un an, à l’école
des Beaux-Arts de Lille. Mais j’ai surtout travaillé intensément la gravure
en solitaire de 1988 à 2000. Depuis, je continue à graver soit à destination
du livre d’artiste soit de manière autonome mais en alternance avec la
peinture qui a repris toute sa place et ses forces.
J’avais acquis une presse Ledeuil en 1978 qui m’avait permis de
faire des petits formats, burins et carborundum. Mais l’événement en
1991 fut l’acquisition d’une presse taille douce hollandaise Polymétal,
avec un plateau d’1m x 2m, avec laquelle je me suis totalement engagée
en gravure.
Mon atelier était situé devant un étang, entouré de grands arbres,
en retrait de l’agitation urbaine. Cette nature sauvage dans laquelle j’étais
immergée me libérait d’une formation universitaire en Arts Plastiques
oppressante par ses excès de théorisation de l’art, postures politiques,
concepts, dictats anti-art, prétentions avant-gardistes. Ce lieu me rendait,
avec intensité et innocence, la beauté de la vie rurale. Je pouvais enfin
commencer à établir un rapport de vérité au cœur de mon travail.
La gravure m’y a aidée.

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Au verso de la plaque

La beauté au verso de la plaque

Le dos de la grande plaque de zinc restée stockée dehors contre un vieux mur humide avait laissé de mystérieux dessins faits de taches et d’aspérités. Ils dévoilaient tout à coup un étrange monde lunaire à la surface duquel ne semblaient subsister que les traces du passage d’improbables existences. Sans oser intervenir sur cette étendue abîmée par les éléments, je l’ai soudain emportée dans l’atelier et posée délicatement sur la table d’encrage. J’ai compris alors qu’elle me proposait d’agir pour elle, me suggérait de la considérer avec encore plus d’attention. Je l’ai longuement regardée, puis j’ai osé : j’ai déposé de l’encre noire sur ses reliefs et ses sillons, j’ai essuyé l’excédent d’encre avec des feuilles de soie, je l’ai calée sur le plateau de la presse, préparé une grande feuille d’arches humidifiée et j’ai imprimé.

J’ai obtenu alors l’empreinte d’un paysage gris, tacheté de nuages de cendres, le sol criblé d’empreintes d’étoiles ou de graviers charbonneux. Rien n’y était incisif, il s’en dégageait même une douce nuée de poussières qui avaient l’air de provenir d’une terre fossilisée. En même temps je me suis mise à rêver devant cette cartographie secrète dont la simple contemplation me comblait. J’avais accueilli, j’avais recueilli. La plaque abandonnée avait rendu l’âme sur le papier jusqu’à cette beauté douce, grâce aux saisons, aux pluies, aux jours d’attente et de solitude qu’elle avait conservés dans sa matière même.

Ainsi la technique de la gravure ne nécessite pas toujours l’intervention personnelle sinon celle d’être assez réceptif et observateur pour recueillir l’empreinte du monde. Cette expérience m’aura enseigné la modestie. Savoir que l’action artistique humaine peut être réduite à son minimum pour que se déploie dans le regard l’épiderme de la présence de ce qui se tient là, face à nous, que nous voyons si peu, ou si mal et dont nous ne savons pas comment retenir l’empreinte.

IMG_3798 “Saisis au passage”, 100 x 80 cm

 

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