Extraits du livre Michèle Desbordes

Extrait 4ème de couverture :

« Il me semble que ç’a dû commencer par cet oiseau presque immobile dans le bas du ciel, c’est à peine si on voyait bouger les ailes, un oiseau du fleuve, une sterne, une mouette grise peut-être, il survolait le chemin du fleuve, il survolait le fleuve d’un trait, d’un seul coup d’aile en direction de la mer puis il revenait. »                                                                        LES PETITES TERRES. Verdier, 2008

Dix-huit auteurs à retrouver dans ce livre d’hommages et de témoignages.

Michèle Desbordes – 4 août 1940 – 24 janvier 2006

ici quelques extraits des textes de Michelle Devinant et Marie Alloy. (Droits réservés)

     

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Michelle Devinant 

“[…] La Loire charrie ses flots dans lesquels sont versées les cendres et les fleurs blanches emportées par les tumultes du courant. Bientôt, il ne reste rien que l’étendue du fleuve lumineux reflétant le ciel « d’un incroyable bleu, brillant comme la porcelaine. Bleu et froid », celui du jour de l’enterrement de son père qu’elle aimait tant et qu’elle évoque dans L’emprise[1]. Je crois que ce jour-là, Michèle a réalisé ce rêve fait tôt dans l’enfance et qui l’accompagne longtemps, maintes fois développé dans ses notes préparatoires jusqu’à l’évocation retenue de L’emprise. Descendre le fleuve, conjurer la perte irrémédiable, échapper à la pétrification, se jouer de l’obsession du temps immobile, en finir avec le sentiment de la fin des choses, consentir à ce nevermore qui la subjugue et l’étreint depuis l’enfance et dont elle parle si souvent, poursuivre le chemin, et « mourir les yeux dans la mer un jour qu’elle serait bleue[2] ».

« Un jour il y a longtemps, je fais ce rêve-là, de descendre le fleuve. Je le rêve longtemps, longtemps dans ce silence, cette lumière, je descends le fleuve. Aujourd’hui que le rêve n’est plus là, je crois qu’il me manque. Que me manque cette plénitude, cette grande et douce clarté dont nous sommes entourés, comme irradiés, celle des linges qui nous revêtent peut-être, de je ne sais quelle invisible nuée nous accompagnant jusqu’à la mer, au delta où nous allons, où le courant puissamment, doucement nous porte. C’est bien sûr ce mot-là de delta, et non celui d’estuaire, qui me vient pour parler de ce commencement de mer, de cet endroit où nous allons, de tout ce chemin, tout ce temps dont j’ignore ce qu’ils durent. J’ignore le temps que c’est pour aller jusqu’à la mer tout à l’ouest, j’ignore d’où nous partons. Je ne nous vois pas partir, pas plus que je nous vois arrivant là-bas (pas plus que nous arrivons), nous n’arrivons jamais. A aucun moment le voyage ne s’achève, il n’est pas de ces voyages qui s’achèvent, il n’est pas fait je crois pour s’achever. Il n’a ni fin ni commencement, il vaut pour ces instants où nous avançons dans l’incomparable lumière, la paix prodigieuse[3]. »

Michelle Devinant Romero est auteure, metteure en scène, formatrice et a exercé le métier de bibliothécaire à la Médiathèque d’Orléans.

[1] L’emprise, page 182

[2] L’emprise, page 165.

[3] Disquette Chemin de fleuve – Notes Rejets, 14 avril 2005.

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Marie Alloy

“J’ai rencontré Michèle Desbordes à la librairie Les Temps Modernes dans les années 90 à l’occasion de la sortie de plusieurs de ses livres : La Demande, La robe bleue, L’emprise, Artemisia… Je me souviens en particulier du moment où elle a évoqué son enfance : « Nous n’avions pas le droit de parler à table, (mon père était autoritaire) et ce silence imposé me poussa à l’écriture comme vers un refuge. » Je ne sais si je rapporte avec exactitude ce témoignage car j’en étais particulièrement émue. Je n’osais ensuite aller vers Michèle Desbordes. L’émotion m’avait submergée, ayant moi-même vécu dans mon enfance ces moments où la parole était empêchée et comme Michèle Desbordes j’avais pris l’habitude d’écrire dans des petits carnets pour retrouver un espace de liberté et d’expression. Je reconnaissais ce qu’elle avait traversé au plus intime, ses craintes et révoltes et le désir de les surmonter par l’écriture.

Aujourd’hui j’habite à Beaugency ; près du fleuve que Michèle Desbordes aimait tant. Mon écriture s’est transformée au contact de ce paysage si agissant sur l’esprit et la sensibilité. Ces bords de Loire créent un rapport à l’espace et au temps qui modifie notre perception du monde. C’est un lieu où la relation omniprésente à la nature, à l’eau, au ciel, aux oiseaux, aux pierres, nous transforme et nous anime comme la lumière dans ses mouvances. Je retrouve ce paysage dans l’écriture de Michèle Desbordes, ce rapport au temps qui fuit et pourtant ne vous lâche plus. Son écriture s’écoule, brasse des mots jusqu’aux remous, avance, recule, se retourne, puis file en cascade, cherche, se cherche, se perd et nous emporte. Nous habitons avec son écriture les longues phrases du temps dans la brièveté de chacun des jours.

La voix de Michèle Desbordes est liée au fleuve, aux battements d’ailes des mouettes et des sternes, sous les moirages de la lumière, ses combats, ses victoires, son dénuement.

Il n’ y a pas vraiment d’histoire ou tout est histoire : une robe, une pierre, un nuage, un arbre, la brillance du ciel, tout est à la fois ouvert et enclos, comme nos vies et toutes ces vies passantes qui nous quittent ou que nous quittons comme si nous étions toujours en retard sur nous-même. Mais le temps est immobile et il bouillonne, s’ajuste à nos frontières, nos pauvres limites, vues du dehors, vues du dedans – et nous côtoyons la mort sans le savoir. […]”

 

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