D’âme et de chair. EXERCICE DE L’ADIEU par GEORGES GUILLAIN

à découvrir sur le blog de Georges Guillain, LES DÉCOUVREURS, éditions LD

D’ÂME & DE CHAIR.

 

Une lecture de GEORGES GUILLAIN                                                                             du livre EXERCICE DE L’ADIEU de Jean Pierre Vidal

“Il est des livres dans lesquels j’ai plus de difficulté à entrer que d’autres. Ainsi les ouvrages à caractère moral reposant sur des successions d’aphorismes. Je crois que l’évolution de ma propre pensée m’a progressivement éloigné de tout ce qui, formule générale, concept ou autre, tend à emprisonner la réalité dans l’obscure abstraction des structures closes.

Le livre de Jean-Pierre Vidal, Exercice de l’adieu, n’est donc pas, a priori, fait pour moi. Lui qui dans la lignée de poètes-penseurs ou de penseurs-poètes comme Joubert, par exemple, auquel il se réfère dans une partie importante de son ouvrage, se présente à première vue comme un composé de notes visant à traduire son expérience vécue en réflexions générales sur l’amour, la beauté, le désir ou la perte, sans compter l’âme, le corps, le temps ou la présence…

On ne jouit toutefois que par contraste. Cet aphorisme que je répète à l’envi depuis des siècles au point de ne plus même savoir à qui je l’ai emprunté, s’est une nouvelle fois vérifié à la découverte de ce beau livre que j’ai lu tout en pratiquant de ces lectures auxquelles je suis mieux habitué. Et, outre bien entendu, la parfaite maîtrise de la langue qui est celle de Jean-Pierre Vidal, j’ai pris plaisir, non à tenter de réfléchir à certaines des pures formulations qu’on y trouve, mais à suivre une sensibilité confrontée au caractère poignant d’une vie dont on s’aperçoit qu’elle n’a plus totalement, physiquement, prise. Ni sur le temps, qui jeune, ne semblait pas être compté. Ni sur les corps qui, pas encore, pour elle, se dérobaient.

Exercice, le mot employé par Jean-Pierre Vidal, ne doit pas être pris dans son acception scolaire. C’est dans sa dimension spirituelle qu’il doit être entendu.  Car il s’agit ici non d’un effort de style, mais d’un effort d’âme. Qui, animé par les ressources propres de l’intelligence tout à la fois inquiète et lucide s’appuie sur de puissants intercesseurs telles les œuvres diverses de Rimbaud, André Dhôtel, Joseph Joubert ou de Simone Weil. Pour se porter à la hauteur de ce qu’impose le passage des temps. Savoir : habiter l’adieu. L’adieu comme présence. Ce qui me semble devoir être l’une des sagesses, parmi les plus profondes, de l’âge comme aussi de la poésie.

Marie Alloy dans un éclairant texte de présentation parle mieux que je ne saurais le faire, du livre de Jean-Pierre Vidal qu’elle a édité dans sa belle collection du Silence qui roule. J’y renvoie. Ajoutant toutefois avant de terminer, que m’aura aussi particulièrement retenu dans cet ouvrage, la discrète façon dont à travers l’effort de réflexion de son auteur, la tension qui le porte vers une conscience vivante et réactualisée de la somme de ses diverses expériences, se dit tout de même l’intime, toute la présence en creux, d’une vie sensible, charnelle et singulière. Ainsi de cette relation à la jeune beauté plus admirée qu’aimée dont on sent bien quelle blessure secrète – à moins que ce ne soit chez moi qu’effet pur de lecture – elle laisse. Et c’est cela peut-être qui fait que Jean Pierre Vidal est poète. Profondément. Ses livres ne lui servent pas simplement par les mots à mesurer puis combler la distance. Ils savent prolonger jusqu’à nous, leurs murmurants silences.”

© Georges Guillain (droits réservés)

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le Silence qui roule, UN ESPACE DE RÉSONANCE, par PIERRE LECOEUR

Guillevic, Du Silence

Un article mis en ligne par Ciclic centre val de Loire

Pierre Lecœur nous offre ici une analyse sensible du travail de Marie Alloy, évoque l’évolution de son parcours, sa relation privilégiée à la nature et à la poésie. Il revient tout particulièrement sur le compagnonnage de cette éditrice-artiste-poète avec les auteurs de poésie, et comment elle entre en “fusion” avec les mots qui la touchent.  

Né en 1972, Pierre Lecoeur vit et enseigne à Orléans. Il est l’auteur d’un essai, Henri Thomas, une poétique de la présence (Garnier, 2014) et d’un recueil de proses, Prose des lieux (Anthologie Triages vol. I, Tarabuste, 2015). Il a publié de la poésie et des études consacrées à la littérature et à l’art dans diverses publications (La N. R. F.ConférenceEuropeNuncLa Revue littéraire, Les Cahiers de L’Herne…).


Le Silence qui roule : 
un espace de résonance

“Depuis 1993, dans le cadre de sa maison d’édition Le Silence qui roule, Marie Alloy a publié une quarantaine de livres d’artiste dans les pages desquels elle a offert un espace de résonance aux mots de poètes tels que Guillevic, Antoine Emaz, Pierre Dhainaut, Dominique Sampiero, Emmanuel Laugier… En chacun de ces ouvrages réalisés à faible tirage, et parfois uniques, quand ils sont réhaussés par l’artiste, les techniques d’impression comme l’eau forte ou l’aquatinte employées par leur créateur et maître d’œuvre, le travail de typographie réalisé par des artisans prestigieux et le choix de papiers rares s’associent pour accompagner la fulguration du poème. Contrairement à l’illustration, le livre d’artiste a pour ambition, sinon de faire fusionner les mondes intérieurs du poète et de l’artiste, le lisible et le visible, du moins de les associer dans une même dynamique. Singulier livre que celui qui naît de ces rapports. Ainsi bouscule-t-il, par la variété de ses formats et ses agencements, jusqu’à la notion fondamentale de page. Devrions-nous parler à son propos de mise en espace ? Il ne faudrait pas alors oublier la troisième dimension de ces ouvrages : le toucher du papier, la matière des rehauts, le foulage de la matrice et des caractères mobiles sur la feuille, le travail – gaufrage, pliage – auquel cette dernière est soumise…

Les poèmes et proses poétiques qu’elle retient privilégient le sensible

Il y a, on le voit, un monde entre l’édition de livres d’artiste et le sens qu’on donne ordinairement à ce mot… L’accueil du texte, loin d’être une finalité, est le point de départ d’un long compagnonnage, doublé d’un dialogue avec le poète, durant lequel va s’élaborer la forme par laquelle l’artiste va répondre aux mots qui l’ont touché. Une épreuve intime, si l’on en croit Sampiero : « Deux personnes – elles ne se connaissent qu’à travers des mots, des images, des textes – s’envoient des lettres, des gravures. Mais parfois c’est une feuille morte, un brin d’herbe, une larme sur l’encre. Et il en vient une sorte de vertige. De désir. »

Dans le cadre de son travail d’éditeur, comme dans celui de la peinture et de la gravure, Marie Alloy rejette le formalisme autant qu’une démarche mimétique qui ne mettrait pas à l’épreuve le medium – en l’occurrence le corps de la langue. Les poèmes et proses poétiques qu’elle retient privilégient le sensible, tout en ouvrant l’éventail du sens au gré d’effets de porosité qui réorganisent les rapports du monde et des signes. Démarche réfléchie parfois dans les vers du poème, où elle peut s’associer à une référence au langage-monde développé par l’artiste : « L’écriture indistincte / Sur le geste dispersé / La ligne entre les deux traits / Qui saisit / Le lit de cette terre (Tita Reut).

Le parcours réalisé durant trente ans par Marie Alloy dans le compagnonnage des poètes est riche et complexe. On peut toutefois y percevoir une double évolution. Dans le domaine du choix éditorial, le drame humain et un certain pathétique, présents notamment dans les textes d’Antoine Emaz (Poème serré et Poème, temps d’arrêt, 1993) et d’Emmanuel Laugier (Hante ton aisselle au bout de quoi, 1996) le cèdent peu à peu à la présence du monde et à une tonalité plus contemplative (Jacques Lèbre, Pierre Dhainaut). Guillevic, qui se situe au carrefour de ces deux tendances, est peut-être le poète qui répond de la manière la plus complète à la sensibilité de l’artiste et au spectre de son travail. Sur le plan de la création, la même évolution s’observe : la figure humaine se fait plus rare, l’enregistrement sismographique du jeu des passions et des affects laisse place à un regard plus apaisé, plus détaché, sur les choses. Cette dernière disposition a conduit Marie Alloy à préférer à la figure humaine le jeu des éléments, ou de fragments de nature qui semblent naître sur la feuille à fleur d’abstraction. On pourrait sans doute rattacher à cette tendance l’apparition de la couleur dans ses livres d’artiste. Après une première apparition dans Reverb’ (2000) d’Emmanuel Laugier, celle-ci s’affirme dans les aquarelles qui répondent, avec leurs irisations, leurs contrastes hardis et leurs belles teintes froides, au monde aquatique tel que le perçoit Guillevic dans Devant l’étang(2005). Quel contraste entre la nuit matérielle sublimée par les noirs charbonneux déployés dans les premiers ouvrages, et la liberté, la sobre sensualité de ces images, ou des lavis qui accompagnent le poème Vif, limpide, imprévisible (Pierre Dhainaut, 2006) – dont le titre semble programmatique – et rythment la progression de Gravier du songe (Jean-Pierre Vidal, 2011) …

 Le poème y gagne une nouvelle dimension

Parce qu’elle est à la fois éditrice, artiste et poète, parce qu’aussi elle conçoit son travail d’éditeur comme un exercice de patience, exigeant un long temps de maturation, Marie Alloy sait donner naissance dans chacun de ses livres d’artiste à un espace-temps singulier, où s’exaltent les aspects et tonalités de notre existence, qu’elle projette dans le concret de la matière, dans les formes et textures offertes par la nature, et jusque dans la physionomie d’une page, le caractère d’une typographie. Le poème y gagne une nouvelle dimension. Son auteur y apprend « quelque chose comme ressentir plus fortement la manière dont l’espace autour pèse sur le mot et lui fait rendre un son différent » (Antoine Emaz). On ne peut trouver plus belle formule, pour qualifier ces ouvrages, que celle par laquelle Michel Collot approche l’œuvre littéraire, qu’il définit comme le paysage d’une expérience. Chacun d’eux, au gré des multiples talents assemblés dans sa conception, est un miroir tendu à ce que nous sommes au plus intime, et qui ne vit que par le partage.”

Pierre Lecœur – Juin 2018

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DANS LA CHAIR DU POEME, par Georges Guillain,

Un article du site LES DECOUVREURS : éditions LD

DANS LA CHAIR DU POÈME. NI LOIN NI PLUS JAMAIS D’ISABELLE LÉVESQUE.

  Lorsque je serai mort depuis plusieurs années,                                                                            Et que dans le brouillard les cabs se heurteront,                                                              Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas changées)                                                              Puissé-je être une main fraîche sur quelque front !

Oui. C’est à ce vœu émis, il y a plus d’une centaine d’années par ce magnifique poète que fut aussi Larbaud que je ne peux m’empêcher de songer à la lecture du dernier livre d’Isabelle Lévesque, Ni loin ni plus jamais, présenté en sous-titre comme une suite pour Jean-Philippe Salabreuil. Belle chose en effet que cette « main fraîche » passée par un poète depuis longtemps disparu sur le front d’un poète vivant. Que cette transsubstantiation qui fait ici que le verbe se fait chair. Et que ce qui était apparemment mort redevient dans un geste et pour un instant, vie.

Seulement, contrairement à ce qu’imagine l’auteur des Poésies de A.O. Barnabooth, les choses ont aujourd’hui bien changé et si les brouillards demeurent – encore que ceux de Londres qu’il évoque se soient considérablement réduits – les formes poétiques et les goûts de nos contemporains ont terriblement évolué. Au point de nous rendre certains textes moins aisément lisibles.

Ceux de Jean-Philippe Salabreuil (1940-1970) que mon ami Ludovic Janvier m’avait un jour apportés à lire après en avoir déniché un recueil dans une solderie, sont sans doute de ceux-là que leur apparent excès de sentimentalité, leur métaphorisme extrême et leur idéalité sous-jacente, placent aux antipodes des attentes plus triviales et moins évanescentes, autrement contournées, de la plupart des auteurs/lecteurs contemporains.

Reste heureusement ce phénomène tellement toujours sous-évalué de la lecture appropriante. De cette merveilleuse capacité qui est la sienne d’à chaque fois donner ou de redonner sens. Et c’est de cela que témoigne l’ouvrage ici bienvenu d’Isabelle Lévesque. Les matériaux poétiques dont use Jean-Philippe Salabreuil, qui sont principalement ceux de la nature, ainsi que l’espèce de battement d’ailes de papillon des formes qu’ils construisent, font écho à sa propre poésie. À la faculté qu’elle a, comme en témoigne par exemple son ouvrage Voltige, de s’émerveiller, dans une langue à chaque fois réinventée, des correspondances qu’elle trouve entre les images diffractées du monde physique et ses bien mobiles et parfois fugitifs, élans ou déplacements intérieurs.

Et l’on comprend dès lors qu’elle puisse en faire hommage à ce jeune poète suicidé de trente ans dont elle « entend la musique » et célèbre l’emportement. Dont, de l’intérieur aussi,  elle ressent les failles « comme autant de blessures et de vœux qui entrent dans le poème ».

Et je me dis alors qu’il faudrait que je relise autrement ce Jean-Philippe Salabreuil qui jusqu’alors ne trouvait qu’assez peu de passages jusqu’à moi. En ne voyant plus peut-être dans ce concert d’images, criant le manque, qui quelque peu me rebutait, que cette pure expressivité qui renvoie moins aux choses apparemment désignées qu’à sa propre origine, à cette manière à elle, bien en deçà des mots,  de « se sentir » et de faire expression de soi. Pour donc entendre à travers cette voix possiblement datée mais non factice, l’appel qu’elle lance toujours du vivant de sa chair.

Secret nous livre Isabelle Lévesque :

“poète n’est pas                                                                                                                                   mort, au souffle lit survie,                                                                                                              redit poème en cœur.                                                                                                                        Porte enfance des vers                                                                                                                      pour rejoindre, les disparus                                                                                                                  s’avancent.”

Et ce sera pour moi, pour nous enfin, ni loin, ni plus jamais, une nouvelle fois  : cette pleine leçon d’avoir à reconnaître que, de poète à poète, de forme en forme et d’époque en époque, une fois franchement habité, le poème comme le jour toujours avance. Nous recommence. Mais ne disparaît pas.

NOTE : le livre d’Isabelle Lévesque inaugure la nouvelle collection Poésie du Silence que lance Le Silence qui roule, cette belle petite maison d’édition placée sous le signe de la rencontre entre la peinture et la poésie que l’on doit à Marie Alloy qui y reproduit en couverture une de ses huiles sur toile, très suggestivement intitulée Herbes de neige.

Pour lire sur ce blog ma lecture de Voltige.

 

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Une lecture de NI LOIN NI PLUS JAMAIS, par Philippe Leuckx

Revue Texture – Notes critiques

Une lecture de Philippe Leuckx  (né en 1955 à Havay, il vit dans le Hainaut belge. Il est l’auteur d’une trentaine de livres et plaquettes de poésie et de plusieurs monographies. Il est également critique et collabore régulièrement à de nombreuses revues et blogs).

Isabelle Lévesque : « Ni loin ni plus jamais »,                                                         Suite pour Jean-Philippe Salabreuil

Rendre vie et hommage à un grand poète tôt disparu, Salabreuil, né en 1940, décédé en 1970 : tel est le vœu de l’auteure, versée dans la lecture du grand aîné depuis longtemps. Sur le terreau de citations tirées de « L’Inespéré » (Gallimard, 1969), Isabelle Lévesque – quinze recueils depuis 2010 – donne à « Il a neigé sur de l’aurore » et à « l’ossuaire d’en haut qui s’écroule » de dignes prolongements, où « l’ardeur est telle/encore », la ferveur et la lucide appréhension d’un univers marqué, chez le poète regretté, du sceau d’un « cri » non entendu, d’amour mal vécu, de l’Absence qui trouve ici à se décliner. À rebours, la neige, le poème, cette flambée de mots à l’adresse de celui qui a « brûlé » ses espérances. Lévesque, page 29, nous dit : « Un poète aimé ne meurt pas. Il renaît dans les mots du poème… il habite ce que nous écrivons à notre tour… »
La poète convoque, saganesque, « les bleus de l’âme », multiplie les appositions, joue de l’intime correspondance : « Poids de l’âme infime / aimer souffle, seule voix./ Corps pur, prouesse de plume : / système solaire. »
L’écriture, aérienne, « frôle », la « craie du ciel », perfore le bleu des étoiles, incise, à l’aide de métaphores, « le fantôme » vénéré :
« Poète sans nom décrit l’Aimée sans fin / Fulgurante aux faveurs de la nuit… »
Du petit livre s’élève un chant que les mots heurtent, puisqu’il faut bien relayer le parcours brusque et brusqué d’un poète véritable, que le destin a mangé : « Quelle nuit si pâle / te protège enfin ? // Les pierres seules / s’éloignent gravées / (pas d’oiseau) // Allées si claires / qu’aucune étoile ne fera vœu ».
On dirait qu’Isabelle, voulant approcher le poète en son domaine de neige (le bas), d’étoiles (l’impossible demeure) souhaite jumeler les paradoxes : la négation de l’oiseau, le poids de la pierre, le refuge qui « protège »…
Les lointains du temps ordonnent cette poésie, intemporelle, à la fois respiration en hommage, et concertation d’une écriture entre lignes, ombre et accent solaire ; oui, le « poète revit » d’un souffle, d’une eau même si « elle ne se boit ». La poésie est à ce prix : une solitude, un partage.
Mission accomplie.

Philippe Leuckx

(Isabelle Levesque : « Ni loin ni plus jamais », Suite pour Jean-Philippe Salabreuil, Le Silence qui roule, 2018, 36p., 9€. Huile de Marie Alloy en couverture, « Herbes de neige ».)

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Rencontrer Guillevic

 

Rencontre devant l’étang

“C’est au cœur de deux espaces, on ne peut plus personnels, que se fit la rencontre Alloy – Guillevic : ceux de leurs tête-à-tête singuliers avec la page blanche où s’écrire, où s’inscrire pour découvrir, se découvrir et pour ensuite « réussir » à donner, nous donner – parce que l’ouverture a été gagnée – s’offrir et nous offrir deux œuvres communes L’Éros souverain et  Devant l’étang.

Cet étang qui fascina Guillevic, le hanta sa vie durant, est pour Marie une présence quasi permanente puisque son atelier ouvre sur une petite étendue de ces eaux épaisses, pas forcément bienveillantes.

Marie Alloy est venue pour la première fois, rue Claude Bernard, en un temps où Guillevic, déjà fatigué, me demandait d’être présente lors des visites qu’il recevait. Cette demande, il m’était alors difficile de la refuser, mais elle me mettait souvent dans une situation délicate car je sentais qu’il me fallait être là comme si je n’y étais pas. Je me souviens à quel point très vite le courant s’établit, circula entre nous trois. Le charme de la gravité silencieuse de Marie opérant ainsi que le naturel de chacun. On eut tôt fait de se connaître et de se reconnaître de la même famille, dans une amitié et une connivence hors du temps.

Le travail de Marie pour L’Éros (en 1996) – le premier poème qu’Eugène avait eu la chance de lui confier – fut une joie pour lui. Il en aima la vibration toute d’exigence, de raffinement et de sensualité d’un art servi par un rigoureux métier.

Et tout naturellement Guillevic pensa à dédier à Marie Devant l’étang, l’obsédant poème qui avait jailli en 1992, le contrariant presque de devoir constater qu’ «après avoir tant écrit» sur eux et «sans savoir pourquoi», ils revenaient encore ces étangs qui s’imposaient à lui jusqu’à le contraindre. Il offrit alors ce poème à Marie comme pour qu’elle l’aide à s’en délivrer.

Le destin décida que Guillevic ne puisse pas découvrir le nouvel et essentiel échange entre lui et Marie, qu’est ce livre. Aujourd’hui, je crois sentir à quel point ce poème, tout comme l’Éros souverain, furent importants et comment ils se rejoignent dans leur absolue divergence.

Je crois comprendre pourquoi «cette eau stagnante», avec ce regard qui nous tord et nous étreint, cette eau «dormante» qui, en plein soleil «ne quitte jamais / Sa teinte d’eau nocturne» //, qui ne se préoccupe que de ce qui «se travaille / Vers le fond», cette eau livrée à ses sempiternelles complaisantes paranoïa et masturbation, cette eau fermée pour fermenter sur elle-même et se cacher – cet état existant de la stase d’une eau qui jamais ne sera «étant» dans son devenir d’ «être»* liquide, eau vive faite pour l’échange, la circulation, la fécondation, obséda Guillevic dans son combat pour la verticale, l’ouvert, la communication, la communion. Et dans cette bagarre lui et Alloy se rencontrèrent, alliés, passionnément.

Oui, «Ce soir encore l’étang / Ne s’est pas mis debout»**/. Et jamais il ne se lèvera, le «libidineux», jamais il ne se relèvera pour le combat de ces travailleurs de la pointe qui creusent et caressent alternativement, le poète ses mots, son vers, l’artiste son incise, sa taille, sa toile, – «traits qui viennent de très profond et d’il y a longtemps»*** – et qui les poussent toujours plus avant et plus loin, dans le corps à corps avec l’élémentaire de la vivante matière ! Et c’est alors que vit pour nous, devant nous, ce singulier accord de vibrations, si justes, si fines, si élevées du mot et de la couleur.

Pour le salut, Marie ! Pour un vivant repos, Eugène.”

Lucie Albertini-Guillevic.

Belley, 29 septembre 2000 – Paris, 2 août 2005

* Art poétique. 1989, ** Terraqué, *** Alloy, notes d’atelier, avril 1999

*

J’ai réalisé deux livres d’artiste avec Eugène Guillevic, “L’Éros souverain” en 1995, puis  “Devant l’étang”, de 2000 à 2005 – livre qui a suscité de nombreuses recherches gravées et peintes exposées à Carnac en 2007 dans le cadre de l’exposition “Guillevic et les peintres”.

“L’Éros souverain”

Ci-dessous quelques détails du poème et des estampes, (aquatintes originales).

           

“Devant l’étang”

livre d’artiste réalisé avec des aquarelles originales

  

    

*

Entre deux eaux

De  l’Éros souverain  à  Devant l’étang

Peintre et graveur, éditeur de livres d’artistes[1], je pris contact avec Guillevic en 1994, et il me proposa d’accompagner le poème L’Éros souverain. J’ai aimé immédiatement l’ampleur de ce chant d’amour et sa force et, peu à peu, je fus gagnée par son souffle. Je choisis un format horizontal, une typographie pleine page dans l’estampe, avec la technique de l’aquatinte qui me permettait de concilier la fluidité du geste, de la vague amoureuse, avec la morsure de l’acide, eau « forte » comme l’océan. Le rythme de l’ensemble me suggéra des verts profonds, certains lactescents.

 « Si tu pouvais nous dire

Au moins sur le passage

Du gris glauque au bleu vert » [2]

Son poème m’avait guidé vers les nuances d’une teinte qui était véritablement la sienne (le vert de sa bague), et celle de l’océan, sans qu’il y soit directement question dans l’Eros souverain. La réciproque fut aussi étonnante puisqu’il m’offrit ce jour de notre première rencontre un petit volume de poésie: Du domaine[3]. Son geste fut de cette générosité qui est une attention profonde à l’autre, et un signe de reconnaissance. Sans le savoir, il m’offrait un ensemble correspondant mot à mot au lieu où je vivais et vis encore. J’en fut très troublée. Je reconnaissais « mon lieu ». Nous en avons parlé et c’est ainsi qu’après avoir réalisé l’Eros souverain, il me proposa, avec la complicité bienveillante de Lucie Albertini, Devant l’étang.

Il me sembla pourtant que j’avais besoin d’une sorte de parenthèse de retrait pour reprendre mon souffle avant de commencer ce deuxième livre d’artiste; je le laissais reposer malgré des épreuves gravées et plusieurs maquettes.

« L’eau dans l’étang

est occupée à garder le temps. » [4]

« L’eau de l’étang

se prend un peu

pour l’éternité. »[5]

Peut-être ne faut-il jamais attendre mais toujours avoir la force intérieure de saisir le choses à temps. Eugène Guillevic, malade, dut nous laisser avec ses carnets, les livres en cours, toute cette matière vivante de cœur, de pensée, de regard. Après cette séparation, il fallut encore attendre, transformer la tristesse en force, garder le cap. Rester digne de son effort de vie, de continuité dans le travail, dans le mouvement d’une recherche intérieure toujours plus décantée et plus ouverte, d’une poésie simple, aux significations plus denses.

Mais il se produisit aussi en moi une transformation. J’épousais cette sorte de « fascination et répugnance » [6] pour l’étang. Plus j’avançais dans mon propre travail plus l’étang m’habitait et envahissait mes recherches sous forme de reflets de branches, eaux plus ou moins épaisses, ombres inquiétantes.

« Le péril n’est pas seulement hors de soi, dans l’œil « libidineux »[7] de l’étang plein de têtards qui se colle à la vitre, il est en soi.»[8]

J’avais besoin de laisser la dureté de la gravure du « Creuse, écris » (Inclus) et du tirage de livres pour me renouveler en revenant à la peinture. Je pensais toujours accompagner le poème Devant l’étang d’estampes mais le retour à la peinture me conduisit à laisser les projets successifs dans l’attente d’une juste adéquation entre mon cheminement intérieur et les interrogations du poème. Je compris un peu plus tard que le creusement viendrait de l’eau. Que l’outil pinceau étale la nappe de couleur mais creuse aussi sous la surface un lit poreux où le geste s’enfonce avec l’esprit, comme dans une sorte de rêve mouvant de fluidité.

 « Certains rêvent / Les rêves de l’étang » (p 56) et je ne voulais pas aller vers l’enlisement onirique mais donner une présence qui tienne, du corps au lieu, un domaine aux mots. Le péril était-il donc en moi ? J’avais maintenant peur devant ce livre, inachevé, inachevable; avec le sentiment d’une faute, d’un retard, d’un mouvement irréversible. Quelque chose ne pouvait plus se faire, dans ce livre comme dans la vie, ou se l’interdisait peut-être.

« Ne réussit pas qui veut

  à trouver l’étang » (p 42)

L’étang contenait une angoisse de transformation personnelle, mais aussi une exigence de vérité, un besoin de clarté. Je comprenais, sans pouvoir la réaliser, cette nécessité d’une Psychanalyse de l’Eau étudiée par Bachelard [9] : « L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s’écroule… La peine de l’eau est infinie. »

Les poèmes de Guillevic sont alors devenus pour moi comme une chambre d’échos. En le lisant, il m’est souvent arrivé de penser : j’aurais pu l’écrire … Parce que Guillevic parle à la mer, à l’étang, en les tutoyant, c’est à chacun de nous aussi qu’il s’adresse.

*

« Devant l’étang », comme devant soi, ou devant la peinture, il y a toujours un moment où il faut plonger, se laisser couler jusqu’à la lumière du fond, par fidélité au poète, à sa langue, et par fidélité à soi.

« Tu es là, immobile, mais l’on sent que toujours, ça bouge en toi.»[10]

Pour transmettre ce mouvement, seul l’élément liquide entrait en résonance avec la tension du poème, ses questions, ses paradoxes. Il fallait une fluidité pour désamorcer le trouble, donner vie au mystère. Le pinceau plus que la pointe, l’aquarelle plus que l’empreinte, traduisent le renouvellement continu des formes, permettent « ce qui se travaille vers le fond ». La couleur dominante verte laisse filtrer l’azur, les pluies, le soleil. Elle anime d’éclaircies les quelques taches plus sombres.

« Descendre dans l’étang

 N’apprendrait rien de plus… »

Cette difficulté à trouver le juste chemin du regard, le juste chemin du travail de création pour Devant l’étang, peut-être ce passage en livre t’il la cause :

                      « Comme l’étang

                       Oublie sa source ! »

Guillevic nous la livre, avec pudeur :        

«  L’eau de l’étang,

   Veuve

   De l’océan. » (p 63)

L’océan serait-il l’époux, le père, …le fils ?

« Parfois tu étais

un moment de moi » (Carnac, p 203)

Il y a cette perte, « Tant d’amour a manqué / qu’on ne s’y connaît plus. » ( Pays, p 29, Sphère), et ce manque profond qui mène à  « Un silence /Couleur de l’étang. » (p 54)

Ainsi avec ces deux livres, Guillevic me donnait à creuser avec lui ces eaux qui l’ont porté, « L’eau / Matrice du cri », (p 83), cri de naissance et cri d’amour, et ces eaux plus troubles, où la mort se mélange au vivant, où les frontières sont incertaines entre la peur et le désir, le doute et le besoin d’enfouir, cacher, ou se nicher.

*

Une violence rentrée surgit soudain du face à face avec l’étang ; lutte des forces antagonistes liées au bien et au mal, mais que le poème lui-même tente de guérir. Le poète cherche à s’élever par la caresse, à vaincre ce libidineux de l’étang qu’il a en son ventre et qu’il saura « percer » pour liquider la peur, retrouver la clarté du toucher. [11] Retrouver la tendresse.

Ainsi, m’aidant d’autres poèmes, par une lecture transversale, je peux en quelque sorte entrer dans le secret de ces deux livres, de ces deux eaux, et leurs correspondances. Elles sont l’une en l’autre comme deux modalités de l’amour, toujours en mouvement et en lutte, « un refus de dire / Creusé dans le oui » ( Sphère, Conscience, Saluer, p 58) avec cette aspiration originelle d’élévation, au sens charnel, où l’acte d’amour est mouvement, lutte contre toutes les formes d’enlisements :

« Peut-être que la tourbe est montée des marais,

Pour venir lanciner, suinter dans le silence

Et nous suivre partout

Comme une mère incestueuse. »[12]

Dans ses « Amulettes », je retrouve la même gravité des questions, sous une forme légère, dont je ressens de plus en plus les multiples ramifications cachées de sens.

« Avoir vu

Tout au fond

De sa main,

Dans l’étang,

Des petits hommes

Qui remuaient. » [13]

Ces corps, il me semble bien qu’ils sont là, en nous, agités par la peur de se perdre. Ils sont nous, grouillants têtards.

*

Dans ma peinture, je suis comme devant l’étang, absorbée.

Lorsque je peins, je sens l’étang dans mon dos[14] , mais « Je n’aime pas / tourner le dos / A de l’eau étendue » et souvent je vais accorder mon regard aux branches qui plongent dans l’eau et s’y entrelacent. Ici point de reflet de soi. L’étang aspire le ciel et les frondaisons, loge animaux et végétaux, exclut la présence humaine dans sa vasque.

L’étang, c’est une imprégnation depuis vingt ans, un lieu d’habitation et de travail. Tantôt il abonde en eaux vertes et fécondes, tantôt il cristallise sous le gel, ou semble s’asphyxier. Dans tous ses états, la couleur dominante, verte ou brune, se répand, se décompose, s’assombrit. L’étang est animé d’un mouvement permanent, œuvrant sans relâche, même aux moments où il semble fléchir, s’assécher.

« L’eau stagnante

en elle-même toujours

se creuse

a sa propre recherche. »[15]

Je vois là, dans cette présence obsédante et mouvante, quelque ressemblance aux mouvements intérieurs de la peinture: un lieu et, en son creux, un non lieu. Dedans, un remuement profond. Quelque chose passe et repasse, pénètre comme dans un buvard, disparaît pour réapparaître autrement.

La masse des arbres plonge et se défait au gré des oscillations de la surface. Le geste de peindre lui aussi affronte une étendue obscure, et l’éclat blanc de la lumière. Il s’agit de circonscrire à l’intérieur de soi une nature qui s’abandonne à l’envahissement, riche de tous les jaillissements, qui refuse la stase, sans cesse meurt et se ranime. Nature qui travaille en nous jusqu’à l’épuisement, « infatigable–fatiguée »[16], jusqu’aux dissolutions successives. Le cercle fécond de renouvellements incessants fait de la peinture un « domaine », dont l’équilibre est perpétuellement en recherche. J’y approfondis mon ignorance, ma peur « …avec des yeux pires que l’étang »[17]. Mais le regard aussi se décante. A la fois dedans, dehors, et devant.

Georges Duthuit[18], à propos de l’œuvre de Bram Van Velde, exprime ce travail intérieur de la peinture en des termes étrangement comparables à ceux de l’étang.

« …un singulier pouvoir ici nous fixe, nous possède. »

Une même surface se tend et se relâche.

“Il y a là un déséquilibre si déchirant qu’on ne conçoit pas qu’il puisse être résolu…»

« …non pas le principe d’organisation des conflits mais leur lieu. »

Et aussi Jacques Putman, [19]:

« …lier le mouvement, …à une aussi lente et patiente élaboration… »

« Comme si son échec le plaçait au-dessus de l’échec… »

Le peintre accepte de se perdre pour se trouver, abandonne ses gestes aux alluvions de couleurs, avec le courage de poursuivre quoiqu’il en coûte. Le corps entier est requis pour cela,  « l’esprit ne peut être que vaincu ou par lui-même humilié… » (Putman, p42)

Il est important de savoir que Guillevic a aimé faire de nombreux livres avec des artistes. Sans faire de grands discours sur la peinture, certaines notes de Guillevic (Carnet noir, II, 1932, L’expérience Guillevic, Deyrolle 1994)) révèlent l’exigence de son regard et montrent son orientation intérieure profonde:

« Voir le monde en lui et non par rapport à soi, le monde (visible et invisible)

le monde peut être vu par l’intérieur de l’âme.

Le monde intérieur du poète (vrai, grand) est une vue du monde tel que le voit et l’a créé Dieu. »

*

La mer est « sans ventre apparemment. »[20] Mais Guillevic voyait dans l’étang un ventre. Cela est fondamental. Poème aussi la voix du ventre. Son appétit. Son souffle. Sa portée.

D’une apparente stagnation, l’étang travaille à quelque décomposition qui nourrit ceux qui y vivent. Et c’est comme un passé qui hante et nous fonde, qui attend d’être délivré quand l’étang devient menace, passivité collante, marécage. « Qu’y a t’il au fond de l’eau ? » (Carnets 1923-1938, L’expérience Guillevic). Est-ce le remords ? Qui malmène notre innocence ?

Et ces liens entre la mère nourricière, la poésie, et la coulée de peinture. Entre ce qui meurt et naît, entre ce qui se décante vers le fond et ce qui affleure à la surface, entre l’océan et la semence. Entre ce qui nous rend à notre porosité, nous absorbe et cette peur d’être avalé, cette peur au ventre. « Est-ce que nous nous nourrissons tous de ce qui nous dévore ? » [21]Menace fusionnelle.

La mère reste du côté de l’étang :

« En communication

avec les profondeurs

élaborant l’humus,…»[22]

 Et la femme, de l’océan  « … ce goût de la mer que nous prenons en toi »[23]

*

L’on ressent fortement l’inquiétude de Guillevic, dans les pages manuscrites du carnet où se trouve « Devant l’étang ». Le va-et-vient entre ce qui est regardé et ce qui cherche à se nommer ajoute une vibration intime à la lecture, maintient vivant le travail d’écriture, non comme une instabilité mais bien comme une quête d’exactitude, de nudité. On en reçoit les mouvements dans la gestation profonde.

L’océan est solennel, refuge, chant, et néant, mugissement, cauchemar. Il est tout aussi travaillé que l’étang, que la vague, que l’existence :

« Puissante par moments

de force ramassée … /

Quelquefois projetée

Comme un vomissement. »[24]

C’est l’acceptation de ces mouvements opposés et extrêmes, liés au flux et reflux du vivant et du temps, qu’enseigne Guillevic. C’est également l’expérience du lien entre le regard sur le monde et le dialogue continu avec toutes ses manifestations sensibles qui nous le rend si présent. Ami des peintres, il savait accueillir et comprenait l’importance primordiale du geste, celui qui souffle la forme et touche au silence.

Marie Alloy, Mai 2005 – Revue NU(e)2005

 

[1] Éditions Le Silence qui roule – Sandillon (45640)

[2] p 193 Carnac, Sphère

[3] Guillevic, Du domaine, Poésie Gallimard, 1977

[4] Guillevic, Du domaine, p 12

[5] Guillevic, L’eau, revue Corps écrit n° 16, revue PUF 1985

[6] Expression employée par Jacques Borel, préface à Terraqué, NRF Poésie Gallimard

[7]  Guillevic, Terraqué, NRF Poésie Gallimard, p 76

[8] Jacques Borel, préface à Terraqué, NRF Poésie Gallimard, p 12

[9] Bachelard, L’eau et les rêves, José Corti, 1989

[10] Guillevic, Devant l’étang, Marie Alloy édition Le Silence qui roule

[11] Guillevic, Terraqué, p76, 77, nrf Poésie Gallimard

[12] Guillevic, Terraqué, p 46, nrf, Poésie Gallimard

[13] Guillevic, Terraqué, p 192, nrf, Poésie Gallimard

[14] Guillevic, L’eau, revue Corps écrit n° 16, revue PUF 1985

[15] Guillevic, L’eau, revue Corps écrit n° 16, revue PUF 1985

[16] Guillevic, Carnac, dans Sphère,  NRF Poésie/Gallimard, p 186

[17] Guillevic, Sphère, Chemin, p 13

[18] Georges Duthuit, Derrière le miroir, 1952, à propos de Bram Van Velde

[19] Jacques Putman, Le musée de poche, 1958, Bram Van Velde, ed Georges Fall

[20] Guillevic, Carnac, dans Sphère,  NRF Poésie/Gallimard, p 149

[21] Jacques Borel, L’expérience Guillevic, Deyrolle, P 26

[22] Guillevic, Carnac, dans Sphère,  NRF Poésie/Gallimard p 71

[23] Guillevic, Carnac, dans Sphère,  NRF Poésie/Gallimard p 143

[24] Guillevic, Carnac, dans Sphère,  NRF Poésie/Gallimard, p 190

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De nouveaux lieux pour le salon Page(s)

Association PAGES

Siège : 51A, rue du Volga, 75020 – PARIS . Secrétariat : 13, rue de l’école Polytechnique, 75005 Paris – Contact: Téléphone : 09 54 38 21 65 – E mail : contact.pages@free.fr Représentants légaux : Catherine Okuyama,  Alain Gorius

Les Salons :

Pages en Novembre

24 – 25 – 26 novembre 2017

Palais de la femme
94, rue de Charonne
75011 Paris

Invité d’honneur : Rachid Koraïchi

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La main, la feuille, la gravure et le livre – à Luc Dietrich

Depuis de nombreuses années, relisant régulièrement « Emblèmes végétaux », je me dis que, décidément, j’aime ces textes poétiques ! Voilà une voix qui me parle, une façon de dire la nature en écho à la psyché humaine qui ne cesse de m’émouvoir ; quelque chose se produit à leur lecture que je ne peux pas analyser, l’étonnement d’un profond accord, d’une communauté de regards. Les textes de cet ensemble « Emblèmes végétaux » résonnent avec force et finesse face à mes gravures, on les dirait écrits pour elles… Voilà, spontanément, ce que j’ai ressenti de prime abord – ce qui fut le point de départ de ce livre, avec un vrai désir d’accompagner le regard pénétrant de Luc Dietrich.

J’ai lu, relu, puis j’ai gravé, spécialement pour ces pages, ne voulant pas utiliser des gravures plus anciennes qui auraient pu leur correspondre. Sachant que Luc Dietrich avait écrit ces textes à partir de ses propres photos d’arbres, de feuillages, de nature, j’ai différé le besoin d’en prendre connaissance avant la réalisation de mes propres gravures. Car ce qui m’importait, c’était de rendre visible un écho personnel à ces poèmes, de donner à voir ce qu’ils gravaient en moi, l’empreinte qu’ils laissaient ouverte et le chemin de conscience que je pouvais ensuite établir entre ses mots et mes estampes.

Aujourd’hui, devant la photo faite par Luc Dietrich qui accompagne La main et la feuille, je comprends le lien qu’il a pu établir entre la morphologie des doigts d’une main et les diverses divisions du limbe de la feuille comme ici cette feuille – de figuier me semble-t-il (dont le terme scientifique est : à nervation palmée). Les doigts de la main, (de Dietrich ?), vus à contrejour derrière la transparence de la feuille, interrogent les correspondances entre vie humaine et vie végétale, dont celles qui ne sont pas seulement graphiques.

Comme « Tout s’inscrit aux nervures de la feuille », « Tout est gravé dans le creux de la main », c’est pourquoi j’ai choisi de retenir ce titre « La main et la feuille » pour l’ensemble du livre d’artiste, car le lien poétique que réalise Dietrich entre leurs deux réalités, fait de l’analogie visuelle le fruit d’une poétique à dimension philosophique. Si « Tout s’inscrit aux nervures de la feuille », les saisons, le sol, l’air, « l’âge où l’on porte fruit avant de dépérir pour repartir, au cœur d’un autre germe », au creux de la main, on retrouve, gravés « les défaites qui sont tombées sur nous comme la pluie » et « les succès ». Ainsi notre « secret destin », comme celui de la feuille, « est inscrit jusque dans les étoiles ». « Notre main est une étoile de chair » et « cette feuille est une paume céleste ». Toutes deux s’ouvrent à l’espace, à la lumière du dehors, toutes deux auront connu « l’âge où l’on s’élève et se dédouble ». Face à cette multiplication des possibles qui s’engendrent mutuellement, cette main et cette feuille, uniques et semblables, indiquent que rien n’est séparé et que bien des éléments du monde peuvent se retrouver ainsi, unis par le dessin – ou le destin.

J’ai donc travaillé mes gravures en insistant sur l’infinité des nervures végétales, si proches de la peau humaine et même du système lymphatique. J’ai cherché à traduire, grâce à cette « main de ramures *» l’immensité cosmique. La matière obtenue par une constellation d’empreintes végétales, avec la technique du vernis mou et divers tracés à l’eau forte, encrée de noirs et de gris, donne l’impression d’un hors temps, comme une sorte de mise en sommeil du monde, ou son envers mental. L’univers végétal est saisi à partir de l’infiniment petit, il restitue avec finesse la matière la plus frêle, la « saveur *» du fragile (d’infimes fragments et bris de végétaux sont unis en un tissage suggestif) – en résonance poétique avec la prolifération de détails minuscules, comme quelques fines racines noires échevelées ou le fil blanc de radicelles. Parfois se pose un épi de lumière sur le fourmillement secret des grains de l’aquatinte. Dans « Matin sur le lac », « une herbe vivante indique le chemin de la délivrance ».

Cette main d’homme donnée à la feuille, fidèle à la terre et à l’intuition du photographe Luc Dietrich, j’espère lui avoir rendu hommage. En gravant les semences végétales, en imprimant leur éclosion dans l’espace en une myriade d’étoiles jetées dans l’obscur, la feuille et la main se rejoignent, laissant à chaque poème la douceur mystérieuse de leur rencontre…

2017 06 20  Marie Alloy

  • « saveur », terme que l’on retrouve dans les traductions de René Daumal de textes sanskrits sur la poésie (voir Le Contre-Ciel suivi de Les dernières paroles du poète, nrf Poésie/Gallimard). P233 La poésie est une parole dont l’essence est saveur. « La Saveur est l’essence, au sens de la réalité substantielle, c’est-à-dire la vie même de la poésie. »
  • « main de ramures », dans le texte « Jardin à la Française », de Luc Dietrich, dédié à René Daumal
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Le Jardin aux trois secrets

“Le jardin aux trois secrets”

poème de Jean Pierre Vidal

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Poème inédit de Jean Pierre Vidal, inspiré par une photographie de Thomas Bernhard, accompagné de six eaux-fortes et aquatintes originales de Marie Alloy, dont une en couverture. Typographie composée en Baskerville de corps 16 sur vélin Johannot, Atelier Vincent Auger. Tiré à vingt exemplaires numérotés et signés par le poète et l’artiste. Édité en 2015.

Format du livre fermé : L23 x H26 cm. Étuis avec chemise réalisés par Nathalie Peauger, relieur, l’Écrin des écrits, à partir d’une peinture sur papier de Marie Alloy.

À propos de ce livre d’artiste:

LE JARDIN AUX TROIS SECRETS

« J’ai vu un jour, dans La Quinzaine littéraire, une photographie de Thomas Bernhard enfant, un enfant dans la force de la vie, de l’insolence et de l’invincibilité de la vie. La nuit suivante, j’ai fait ce rêve, un rêve très narratif et très visuel, avec des images très précises que j’ai tenté de transmettre dans les mots. Il est donc difficile de me sentir l’auteur d’un texte qui m’a été dicté par le visage d’un enfant que je n’ai pas connu et où, pourtant, j’ai reconnu ma propre enfance, toute aussi inconnue. »

Jean Pierre Vidal

*

Graver la végétation du rêve

J’ai tenu, dès le départ, à ne retenir que l’idée de jardin pour accompagner ce beau poème de Jean Pierre Vidal, afin de préserver ses secrets. J’ai, peu à peu, orienté mes recherches gravées, vers un monde végétal mental, ne souhaitant ni créer un paysage ni une sorte de décor qui empêcherait le rêve de circuler entre les pages. J’ai cherché, en m’aidant de la technique du vernis mou, à composer avec des empreintes de végétaux ramassés dans le jardin, utilisant leurs dessins pour prolonger les miens et les baignant dans l’ombre et la lumière de l’aquatinte. J’ai obtenu quelque chose de l’ordre de l’herbier sauvage, tout en délicatesse, que les herbes soient fines ou les feuillages touffus.

La gravure restitue ce qui s’imprime en se dérobant à la prise du réel, elle rend visible l’empreinte avec, comme un voile lointain, une mise hors de portée. Ici j’ai pensé à la végétation d’un rêve, avec sa part d’inquiétude et la simplicité de l’enfance. J’ai recherché un équilibre, toujours sur le seuil du rêve, entre les trois temps du poème et leurs correspondances avec les gravures, pour faire résonner entre eux un sentiment d’étrangeté douce et familière.

Le jeu délicat et fragile des empreintes fait ressortir la lumière du papier et unifie ici la typographie et les estampes. Le trait végétal prend parfois une teneur irréelle, laissant le regard glisser entre les mots et les empreintes gravées. Le temps semble suspendu dans ce livre, lové dans une matière cendreuse mais précise. Les infimes détails d’une herbe ou de petites feuilles recroquevillées, miniaturisées, dessinent une sorte de dérive légère et libre.

C’est, au fil des temps du poème, l’intimité silencieuse des feuillages qui transparaît, puis la douceur de ce calme s’envole tout à coup, se rompt. Après être passées par la blancheur d’une chapelle vide, les plantes sèches et volatiles retombent en tournoyant sur le sol de la page pour s’y recueillir avec la dernière strophe du poème.

Le temps du graveur se divise en étapes, en états. Le graveur fait confiance aux processus de l’acide, de la corrosion du métal et ses aléas, aux textures du papier pour que les herbes et diverses plantes, pressées sous les cylindres puis mordues à l’eau forte, retrouvent une seconde vie, entre noir et blanc. Le papier humide accueille leurs empreintes sans résistance, et ici même, avec tendresse, conservant la caresse secrète du poème, comme sa folie souveraine. Les feuilles et herbes séchées, rétractées, s’ancrent dans la plaque de métal, constituant, au fur et à mesure des états, un palimpseste où la mémoire, incrustée dans le papier, suggère les restes du rêve. Le gris des plantes gravées, encrées, puis imprimées, rappelle celui de la cendre, en une doublure d’ombre.

Partage du rêve, accompagnement sensible dans le livre. Je ressens le secret de ce poème dans la délicatesse de l’amour qui l’écrit, où le désir, en filigrane, est mu par des mouvements profonds. Quelque chose de mystérieux naît puis s’efface tout à coup comme le visage de l’enfance. J’ai tenté de graver la pureté fragile de l’élan amoureux puis de faire ressentir la fuite, la honte devant l’appel du désir, par les changements de ton des empreintes végétales. Pour que ce rêve se poursuive, comme l’enfance, Jean Pierre Vidal a dédié ce livre à son petit-fils.

Marie Alloy, septembre 2015

Beauté de la typographie

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à travers les branches nues, Tarjei Vesaas

Novembre – décembre 2016

“A travers les branches nues”

Un nouveau livre d’artiste de Marie Alloy, sur un poème de Tarjei Vesaas, extrait de Lisières du givre, réalisé à 15 exemplaires, tous manuscrits par Marie Alloy, chaque exemple étant différent dans son interprétation graphique et calligraphique. Ces livres sont accompagnés de six gravures originales de Marie Alloy, eaux fortes, burin et aquatinte plus une en couverture avec passage sur le dos et le recto du livre. Couverture typographiée (atelier Vincent Auger, Paris). L’ensemble est réalisé sur BFK de rives pour la couverture et papier Hanemülhe pour toutes les pages intérieures.

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Format vertical. Hauteur :  32.5 cm     Largeur : 26 cm

dsc01746-copie frontispice sur quelques exemplaires

 

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