A lire sur le site de la revue Belge : TRAVERSEES
une lecture de Marc Wetzel du livre Ciel de pierre
avec mes plus vifs remerciements !
par Marie Alloy
A lire sur le site de la revue Belge : TRAVERSEES
une lecture de Marc Wetzel du livre Ciel de pierre
avec mes plus vifs remerciements !
par Marie Alloy
Avec mes plus vifs remerciements à Christophe Mahy et à la Revue des Amis de l’Ardenne qui accueille cette présentation avec une belle mise en page.
Dans cette revue, p 103-104-105, Christophe Mahy me fait l’honneur d’une belle présentation de ma démarche de peintre, graveur, poète et éditrice. Il y mentionne aussi sa lecture de quelques uns de mes poèmes dont les derniers édités en juin 2022 aux éditions les Lieux-Dits sous le titre “Ciel de pierre”.
De Christophe Mahy vous trouverez aussi dans cette revue 4 pages intitulées LE HAUT PAYS où il évoque les plateaux désolés de la Haute Ardenne avec cette précision poétique qui ne sépare pas le regard des pas du marcheur.
Extrait de sa présentation “Sous le signe du silence” :
[…] ”
Le silence, Marie Alloy en a presque fait un sacerdoce. Sa maison d’édition, à la vitalité exemplaire, se nomme d’ailleurs Le Silence qui roule et il y a peu de chances pour que le hasard, qui comme chacun sait n’existe pas, y soit pour quoi que ce soit. Qu’elle écrive ou qu’elle peigne, c’est à cette source unique aux possibilités inouïes qu’elle fait confiance, et à elle seule. Face à la page comme face à la toile, le regard net du vide, plein de promesses. Et puis, dans l’oubli de soi, comme un élan de solitude fraternelle avec le monde, les mots se révèlent et le poème prend corps avec patience, délivré de toute attente. Dans la lumière changeante du matin, la poésie s’enracine sur la page avec la modestie des miracles ordinaires.
Les lecteurs de la présente revue, qui possèdent quelque mémoire et quelque attention, pourront se reporter à la livraison n°74 dans laquelle l’art poétique de Marie Alloy s’était dévoilé sous la forme d’un long poème inédit intitulé Rumeurs, dont voici les deux premières strophes :
froides nébuleuses pourtant le ciel blond pourtant les bourgeons dans la blancheur naissante la perfection de l’air les livres inachevés sortis de leur réserve (nous les entendons se parler)
Les yeux sont entrés dans le bleu les fines ramures ont perdu leurs traits noirs chaque ligne est une lettre qui forme un mot une phrase de ciel entre les branches
Marie Alloy écrit comme elle peint et peint comme elle écrit, en puisant dans l’eau du silence de quoi étancher sa soif de poésie et de vie. De cette longue pratique, elle retire de quoi se consoler des misères de l’existence et de la brutalité du quotidien. Au point, dans son dernier ouvrage, Ciel de pierre, paru aux éditions Les lieux-Dits, d’engager un dialogue époustouflant de sincérité avec la mort, l’absence et la séparation, sans jamais rien qui pèse ou qui pose. La douleur est ainsi ensevelie dans un silence qui résout toutes choses, un silence au-delà de la vie, aux frontières indicibles de la poésie.
Ici, nous touchons au plus sensible, au plus profond. À l’essentiel de l’expérience humaine. Il est question en effet d’un témoignage, exceptionnel sur le fond et la forme, sur la séparation et l’absence, rien de moins. Certes, beaucoup de poètes ont évoqué, évoquent et évoqueront toujours ces thèmes, si indissociables de notre condition qu’ils ont acquis de facto une valeur universelle. Mais rares sont celles et ceux qui peuvent prétendre à une telle justesse d’expression et une telle sincérité.
L’exercice est par nature périlleux, selon qu’on l’aborde comme tel ou si, comme Marie Alloy, on est capable de s’arrêter, juste avant ou juste après l’émotion. De lui faire face, avant d’écrire à la faveur de cette brèche intérieure. Les mots que ce recueil met au jour sont choisis avec un soin extrême, pesés à l’aune d’un esprit qui parvient à s’ouvrir à l’acceptation du deuil et à entreprendre un dialogue avec l’absence. Ainsi chaque poème est une étape dans une progression apaisée vers une lumière, qualifiée de fraternelle. Nous sommes entraînés, de page en page, dans un parcours intime et profondément participatif. Oui, il s’agit bien d’habiter l’absence, de laisser reposer la ténèbre et de rendre poétiquement compte d’une expérience intime et déchirante. […]”
© Christophe Mahy
par Marie Alloy
Dans le dernier numéro de la Revue Diérèse n°84, été 2022, p 244, 245, 246, Jean-Louis Bernard me fait l’honneur d’une lecture sensible de mon livre-catalogue L’EMPREINTE DES SAISONS, édité à l’occasion de mon exposition de septembre 2021 à l’église St Etienne de Beaugency. Belle note assurément qui révèle une compréhension poétique de ma démarche d’artiste. Qu’il en soit ici vivement remercié !
Livre à retrouver dans mon catalogue en ligne sur ce site des éditions.
Liens Babelio
EXTRAIT :
[…] Marie Alloy ne peint pas le visible, ne (de)montre rien, mais donne à voir tout ce qui fait que le monde peut être vu. Elle expose ainsi la visibilité elle-même, qui constitue la communauté des regards. Tableaux qui ancrent l’esprit dans le sensible, en évitant d’asservir le regard à un quelconque point de fuite. Ce regard devient alors seule mesure du temps (sens du lieu égale sens du temps). (Peut-être Marie Alloy, à l’instar de Joë Bousquet pourrait-elle être considérée comme une poète du regard).
Les frontières disparaissent. Frontières entre la couleur et la lumière, entre les formes et les lignes, entre le réel et l’abstrait, entre le dedans et le dehors, entre le tableau et le monde. Marie Alloy écoute la “rumeur des lisières” (titre d’un tableau), à l’affût des signes (ces signes qu’elle priorise par rapport au sens, tout en conservant une trace fossile de ce dernier). […] J-L Bernard
par Marie Alloy
Une lecture sensible de Sabine Dewulf (qu’elle soit ici chaleureusement remerciée) de mon livre CIEL DE PIERRE, à retrouver sur le site Terre à Ciel (merci à Cécile Guivarch de l’avoir publié) .
Marie Alloy, Ciel de pierre, éditions Les Lieux-Dits, collection « Jour & Nuit », 2022, 90 pages, 15 €.
Dans ce livre de poèmes où elle s’adresse à son frère défunt, Marie Alloy choisit presque toujours d’isoler le premier vers, comme s’il formait un titre, projetant son élan. Ce n’est peut-être pas tant la mort qui semble au centre du propos que l’urgence de formuler un message qui n’a pu s’exprimer du vivant de ce frère.
Les 27 poèmes se répartissent en cinq sections, dont la seconde, Ciel de pierre, donne son titre à l’ensemble, en reliant la tombe à l’air, la mort à l’au-delà. Non pas dans une perspective religieuse mais dans un espace qui abolit les frontières et rassemble les humains – vivants et morts : « Ce que nous portons au ciel / cette prière du bout des lèvres / ce signe de croix déserté / nous le rendons à l’humanité / il incarne la paix la trace / qui réconcilie la terre et le corps ». Ce qui domine, c’est une impression d’allègement fluide, en dépit du chagrin, et le désir de vivre mieux sur terre, dans le sillage de ce deuil.
la suite dans l’article en ligne.
Un recueil de 100 pages, 20,5 x 14,5 cm ISBN : 978-2-918113-98 Prix d’un exemplaire : 15 € plus 3 € de frais de port.
Commandes : Merci de libeller votre chèque au nom de Germain Roesz. Envoi à l’adresse suivante : Les Lieux-Dits éditions, Germain Roesz, Zone d’Art, 2, rue du Rhin napoléon, 67000 STRASBOURG
par Marie Alloy
Merci pour cet article (bouleversant) de Patrick Corneau – à retrouver sur son blog LE LORGNON MELANCOLIQUE, un blog qui est une mine de lectures !
par Marie Alloy
éditions FATA MORGANA
Monotypes de Marie Alloy
“Parfois, June sort de la poche de son jean un grain de blé qu’elle doit tenir précautionneusement entre la pulpe du majeur et de l’index. Elle le laisse glisser au creux de la paume et le regarde. Il est fait pour rouler et se planter. Il est revêtu de sa couleur propre et personne ne l’a imaginé. Son arrondi parfait s’accentue pour que sa ligne entre en elle-même, à la couture, au défaut, là d’où la pousse jaillit quelles que soient les coutumes, les passions et les illusions de ceux qui l’ont planté. Une fois jeté d’une main absente ou versé du semoir d’acier, il suit sa loi et s’épanouit. ”
June et Phoebe campent quelques jours en Nouvelle-Angleterre. A chaque moment de ce séjour correspond une étape d’une initiation au secret des choses, des lieux et des êtres. Peu à peu, les nuances des personnalités des deux jeunes filles se dessinent : l’une semble tournée vers les autres, vers le langage ; l’autre vers le silence massif d’une terre qui constitue toujours un Nouveau Monde. Dans cet écart le texte évolue d’une manière qui voudrait échapper à la tyrannie du temps des horloges.
Pierre Lecoeur s’entretiendra avec Jean-Benoît Puech
“PASSAGERS
Ce fut d’abord la danse de quelques mots d’une langue étrangère sur le quai de la gare afin que fût dite l’heure rien livré à la distraction du monde ”
par Marie Alloy
Al Manar, coll. La Parole peinte, 2017 – 148 pages, 25 €
« De quel amour secret le tableau porte-t-il le fruit ? »
M.A.
L’empreinte est-elle une illusion ou un révélateur ? Peindre relève-t-il les traces ineffables de ce qui nous lie au monde ou distingue-t-il quelques lignes pour que celui qui regarde les laisse à son tour exister ? Après Cette lumière qui peint le monde (L’herbe qui tremble, 2017), où elle évoquait la peinture de quelques-uns de ses peintres favoris, Marie Alloy écrit sur son propre travail dans L’empreinte du visible, publié dans la nouvelle collection des éditions Al Manar, La parole peinte. Les nombreuses reproductions sur papier glacé mettent en évidence le travail opéré sur la couleur, la matière, et les lignes qui semblent parfois s’en évader : l’écriture et la peinture nourrissent à parts égales l’univers sensible de Marie Alloy. Entrons dans l’atelier, comme nous y invite la peintre sur le seuil du livre.
L’épigraphe de John Berger présente l’artiste comme un « récepteur », un passeur qui transmet ce qu’il a reçu dans son œuvre. Marie Alloy distingue bien ces deux temps essentiels pour le peintre, celui de la réception et celui de la création. Si elle s’efforce de capter l’instant du regard dans ses peintures, l’artiste veut aussi restituer une forme d’écho verbal au travail effectué dans l’atelier que pour nous elle « entrouvre », comme dans sa peinture apparaît souvent une brèche qui laisse passer la lumière ou la nuit dans une réversibilité énigmatique et signifiante. Quelque chose hésite, se meut sur un territoire instable et devient sans parvenir à être tout à fait. L’inatteignable ne se mesure pas, il pose une équation lumineuse que nous explorons sans la résoudre : un instant puis un autre – succession d’éclats, mesure infime du regard posé sur la succession, acceptant l’insécurité d’un mouvement perpétuel.
Les notes ici rassemblées ne sont pas présentées dans un ordre chronologique, comme le feraient un journal ou un simple carnet. Elles sont regroupées en neuf chapitres qui correspondent à différents moments du travail du peintre, ou différentes façons de l’envisager. Parfois très brèves, proches de l’aphorisme, parfois plus longues, les notes se font réflexions développées, souvenirs, récits de rêves et approchent souvent alors le poème en prose. Les retours à la ligne inclineraient parfois à isoler certains éléments (des vers ?), des groupes nominaux, comme« bleu intense et désert », qui restituent la saisie immédiate, fugitive d’une impression : « Rien n’est prêt quand commence l’acte de peindre. »
L’allure proverbiale est souvent démentie par la réalité exprimée, la fragilité des certitudes, l’acceptation d’être dessaisie pour que la peinture soit possible. De même, les infinitifs, sans limite temporelle, pourraient offrir l’éternité, ils lui substituent une valeur modale teintée de doute, tout est tenté : « Peindre, préserver la clarté de l’énigme. Accueillir l’apparition. »
Parce que rien n’est certain, tout est possible. L’alliance entre la peinture et le poème est à ce prix, il faut aimer la frontière périlleuse de la tentative et l’esquisse pour permettre à la liberté créatrice de s’exercer. Des impressions d’enfance ont laissé une empreinte devenue pour l’adulte une matière onirique, vivier du trait et de la couleur : « Campanules. Le bleu de quelques fleurs d’enfance, clochettes habitées d’un cœur. Fragilité presque suppliante qu’on ne les cueille pas. Une sorte de bénédiction poussée de la terre. » Or, grâce à la toile, le mouvement d’accroître, paradoxalement, se révèle : « Dans le rectangle de la toile, endiguer l’espace pour l’agrandir. Le cadre permet le passage. Les limites créent l’ouverture. »
Peintre et poète vivent sur le seuil qui fait passer du pays d’ici à un arrière-pays d’enfance, de rêves, de mémoire, de pensées et d’intuitions parfois sans mots. Si leurs arts révèlent un point commun fort, c’est celui de l’art du passage (1). Yves Bonnefoy lui aussi invite à rapprocher poème et tableau : « Ce sera lui le creuset où l’arrière-pays, s’étant dissipé, se reforme, où l’ici vacant cristallise. Et où quelques mots pour finir brilleront peut-être, qui, bien que simples et transparents comme le rien du langage, seront pourtant tout, et réels. »(2) Mais, bien sûr, quand il s’agit de la lumière de la peinture, « c’est au-delà des mots qu’elle fait fleurir »(3). Il faut puiser : « Je n’ose plus invoquer l’invisible, il y a tant à regarder. » La réalité peut-elle épuiser notre regard ou le mode de restitution choisi ( la peinture ) ? Marie Alloy détache des fragments de paysages, elle s’attache à restituer une part minime de ce qui a été perçu, distinctement, et la relie à l’immensité. C’est cette forme d’infini qu’elle reconnaît. Il s’agit d’atteindre une vérité, pas d’imiter la réalité.
Dans le chapitre « Sur la peinture » de ses Méditations esthétiques, Guillaume Apollinaire affirmait : « Les grands poètes et les grands artistes ont pour fonction sociale de renouveler sans cesse l’apparence que revêt la nature aux yeux des hommes. »(4) Les relations entre nature, peinture et poème sont au cœur de la réflexion de Marie Alloy, peintre qui accompagne souvent les poètes, écrit elle-même poèmes et notes, regarde attentivement la nature, mais ne peint pas sur le motif, ni d’après photo. Apollinaire évoquait la nécessité pour chaque peintre d’inventer ses propres couleurs, Marie Alloy s’efforce de les retrouver. Ses notes sont riches de nuances colorées : « roses magenta, verts crus, violets de cobalt »… que le lecteur peut, à l’infini, se représenter. Souvent, les mots semblent s’opposer à l’œuvre du peintre : « Le silence de la peinture pour enterrer les mots. » L’idée se trouve répétée sous plusieurs formes : « Je voudrais brûler les mots, ou mieux, les ensevelir, pour vraiment peindre. Et tout ce qui se dérobe à la possibilité d’un vrai regard, en faire aussi feu de feuilles, de branches et de racines. » Les mots, les poèmes et la peinture se rencontrent, mais parfois c’est entre un morceau de nature et le tableau que la confrontation a lieu : « Un bouquet de coquelicots posé devant le tableau en cours. La fleur éclate dans son rouge vermillon et les tiges vertes rutilent contre la toile. Nature et peinture s’épousent ou s’opposent ? Sur l’autel de la peinture, ces fleurs des champs comme un cœur qui bat la mesure. »
L’artiste évoque son rituel du matin, écrire un poème, comme elle affirme sa volonté de peindre sans qu’elle puisse se présenter comme « peintre », comme si sa démarche n’était que recherche. Cette quête affirme la primauté du chemin sur ce qui sera réalisé. Cela concerne autant la personne que la peinture puisque les deux s’unissent, peindre rétablit un ordre intérieur. La forme des notes discontinues, séparées par un astérisque, mais assemblées dans des chapitres thématiques, permet à la pensée de ne pas se concentrer sur un point mais de se livrer à la liberté des impressions. L’empreinte chaque fois détermine une trace (le texte, la peinture, la gravure) figurant un instant. Le regard s’est exercé, l’instant devient durée par cette impression qui ne reste pas lettre morte :« Cela vient sous l’apparence – sans récit. » Comme si quelque chose était atteint sans qu’il soit question de le figurer. C’est « un geste vif, un éclair furtif, et la ligne peinte voltige ». « Réconcilier », affirme Marie Alloy. La création demeure ce geste magique qui étreint, en une forme, les aimés qui s’éloignent. Elle scrute ce qui l’a frappée, renoue avec l’instant de grâce en trouvant l’expression picturale ou textuelle qui redonne vie. Empreinte spirituelle, marquée par l’or des icônes et le sacre d’une quête, « un sacrement qui rayonnerait par la peinture ». Pourtant peindre suffit, nulle justification ou raison à chercher. Chaque limite (celle du temps, celle de la vie) est acceptée, comme coexistent les contraires, l’instant capté, la durée perçue dans la toile vivante qui offre cet instant délié de la trame pour qu’il soit donné.
La toile (ou la plaque du graveur) alors devient une peau vivante, portant des « cicatrices », des « balafres », des marques d’amour. C’est aussi un chemin vivant, avec ses « empreintes » et ses « traces », signes du temps. Nombre de peintures, retournées contre le mur, attendent. Attendent-elles ou n’existent-elles que pour témoigner d’une tentative ? « Un jour peut-être quelqu’un les retournera pour les découvrir. »
Marie Alloy veut « peindre sans s’adapter ni tenter de résoudre ». D’une forme imparfaite en cours, d’un geste, révéler ce vers quoi l’effort tend. Peindre, sans les mots, une fois qu’ils se sont retirés ou dissous. La « nudité intérieure » est l’une des conditions nécessaires, comme si le végétal occupait le devant d’une scène provisoire, en devenir, capté par l’instant. Cette fragile empreinte, rendue visible, apparaît sur les reproductions : vingt-sept, de la double page au détail simple de quelques centimètres. Le papier glacé permet de faire apparaître les couleurs et l’infime ligne végétale parfois : p.32, un ciel bleu brun traversé d’une faille majeure pourrait être la branche ou la tige vivante qui sépare ou lie la page comme l’espace ; – p.56, des fruits, un soleil semblent transférer leur couleur orange-lumière et gagner le fond ou l’arrière-pays de la peinture (il se peut que dans ce ciel se dissolve l’enfance gardée en secret ; – p.81, des fruits d’or ou des balles, on devinerait le collier parfait de fruits éternels. Marie Alloy grave, travaille une matière qu’elle observe mais qui résiste, et la forme donnée sera la nouvelle expression donnée à son regard. Quand Marie Alloy décrit une peinture, elle s’exprime aussi en peintre car elle inscrit la dimension temporelle qui échappe au simple spectateur, celle de l’acte de peindre.
Les notes, par touches successives, accolées ou superposées, s’accumulent et modulent, légèrement, la touche initiale. Ainsi le regard est-il toujours scruté, envisagé dans sa force d’appropriation et de restitution. Ses limites sont acceptées car soumises à l’instant de la captation revécue à l’infini. Ses modulations peuvent infléchir la toile ou le texte repris. L’humilité, affirmée, rend possibles ces hésitations, ces reformulations et inclinaisons différentes de la phrase.
Dans certains poèmes en prose, comme pour les peintures, on peut « […]deviner ou reconnaître […] un visage ou un jardin ». Tout est devant nous inachevé, la promesse d’un regard pourrait suffire à proposer une forme complète, elle variera chaque fois. Œuvre ouverte, œuvre offerte, elle est inépuisable et modestement soumise à qui la regarde, spectateur invité à y tracer son propre inachèvement.
© Isabelle Lévesque
[Une version abrégée de ce texte a été publiée dans la Revue Europe, N°1069, mai 2018]
1 Pierre Dhainaut, Un art des passages (L’herbe qui tremble, 2017).
2 Yves Bonnefoy, L’Arrière-pays (Gallimard, 2003 – coll. Poésie/Gallimard, 2005 – p.149).
3 Ibid. p.144.
4 Guillaume Apollinaire, Méditations esthétiques, 1913 (in Œuvres en prose complètes T.II, Gallimard/La Pléiade, 1991 – p. 12).
A lire sur : https://www.terreaciel.net/A-livre-ouvert-Marie-Alloy-L-empreinte-du-visible-par-Isabelle-Levesque
par Marie Alloy
à découvrir sur le blog de Georges Guillain, LES DÉCOUVREURS, éditions LD
Une lecture de GEORGES GUILLAIN du livre EXERCICE DE L’ADIEU de Jean Pierre Vidal
“Il est des livres dans lesquels j’ai plus de difficulté à entrer que d’autres. Ainsi les ouvrages à caractère moral reposant sur des successions d’aphorismes. Je crois que l’évolution de ma propre pensée m’a progressivement éloigné de tout ce qui, formule générale, concept ou autre, tend à emprisonner la réalité dans l’obscure abstraction des structures closes.
Le livre de Jean-Pierre Vidal, Exercice de l’adieu, n’est donc pas, a priori, fait pour moi. Lui qui dans la lignée de poètes-penseurs ou de penseurs-poètes comme Joubert, par exemple, auquel il se réfère dans une partie importante de son ouvrage, se présente à première vue comme un composé de notes visant à traduire son expérience vécue en réflexions générales sur l’amour, la beauté, le désir ou la perte, sans compter l’âme, le corps, le temps ou la présence…
On ne jouit toutefois que par contraste. Cet aphorisme que je répète à l’envi depuis des siècles au point de ne plus même savoir à qui je l’ai emprunté, s’est une nouvelle fois vérifié à la découverte de ce beau livre que j’ai lu tout en pratiquant de ces lectures auxquelles je suis mieux habitué. Et, outre bien entendu, la parfaite maîtrise de la langue qui est celle de Jean-Pierre Vidal, j’ai pris plaisir, non à tenter de réfléchir à certaines des pures formulations qu’on y trouve, mais à suivre une sensibilité confrontée au caractère poignant d’une vie dont on s’aperçoit qu’elle n’a plus totalement, physiquement, prise. Ni sur le temps, qui jeune, ne semblait pas être compté. Ni sur les corps qui, pas encore, pour elle, se dérobaient.
Exercice, le mot employé par Jean-Pierre Vidal, ne doit pas être pris dans son acception scolaire. C’est dans sa dimension spirituelle qu’il doit être entendu. Car il s’agit ici non d’un effort de style, mais d’un effort d’âme. Qui, animé par les ressources propres de l’intelligence tout à la fois inquiète et lucide s’appuie sur de puissants intercesseurs telles les œuvres diverses de Rimbaud, André Dhôtel, Joseph Joubert ou de Simone Weil. Pour se porter à la hauteur de ce qu’impose le passage des temps. Savoir : habiter l’adieu. L’adieu comme présence. Ce qui me semble devoir être l’une des sagesses, parmi les plus profondes, de l’âge comme aussi de la poésie.
Marie Alloy dans un éclairant texte de présentation parle mieux que je ne saurais le faire, du livre de Jean-Pierre Vidal qu’elle a édité dans sa belle collection du Silence qui roule. J’y renvoie. Ajoutant toutefois avant de terminer, que m’aura aussi particulièrement retenu dans cet ouvrage, la discrète façon dont à travers l’effort de réflexion de son auteur, la tension qui le porte vers une conscience vivante et réactualisée de la somme de ses diverses expériences, se dit tout de même l’intime, toute la présence en creux, d’une vie sensible, charnelle et singulière. Ainsi de cette relation à la jeune beauté plus admirée qu’aimée dont on sent bien quelle blessure secrète – à moins que ce ne soit chez moi qu’effet pur de lecture – elle laisse. Et c’est cela peut-être qui fait que Jean Pierre Vidal est poète. Profondément. Ses livres ne lui servent pas simplement par les mots à mesurer puis combler la distance. Ils savent prolonger jusqu’à nous, leurs murmurants silences.”
© Georges Guillain (droits réservés)
par Marie Alloy
« Ne jamais essayer d’arranger les choses. Les choses et les poèmes sont inconciliables. Il s’agit de savoir si l’on veut faire un poème ou rendre compte d’une chose (dans l’espoir que l’esprit y gagne, fasse à son propos quelque pas nouveau). Francis Ponge, La rage de l’expression
Il est bon de savoir que les notes, textes en prose, ou en vers, qui composent ce livre de Jean Pierre Vidal « Exercice de l’adieu » ont été écrits en 2008-2009. Un désir de continuité est à l’œuvre, quels que soient les intervalles de temps. La chronologie garde une importance dans ce travail d’écriture de vie, au quotidien depuis de nombreuses années. Mais il s’agit seulement ici d’un cadre chronologique, sans repérage exact de la succession des jours. Le but visé n’est pas la rédaction d’un journal mais la réactualisation du passé dans un questionnement continu de l’expérience vécue, (reliée à des périodes de lectures au long cours : Maître Eckart, Ponge, Joubert, Munier, La Rochefoucauld… ). La « vérité » du passé vécu est parfois trouvée, presque toujours perdue. Il s’agit pour l’auteur d’en écrire les approches successives que seule la publication viendra fixer et rompre définitivement. Ainsi faisait Ponge qui reprenait ses textes, certains très anciens, pour les repenser sans cesse. Le passé est relu à la lumière du présent et le présent à travers les filtres de l’expérience passée. C’est un perpétuel va et vient dans une recherche de continuité. Tout cela se distingue du journal au sens des écrits de Pierre-Albert Jourdan, Jaccottet ou Paul de Roux, pourtant lectures permanentes de l’auteur. « Le journal essaie de retenir, moi non, j’essaie de mettre au jour et à jour.» Ainsi faisaient Gustave Roud, Francis Ponge ou Du Bouchet, qui n’ont pas cessé de retravailler leurs textes. « Il existe des points de coïncidence entre présent et passé qui nourrissent le présent.» (J.P Vidal)
L’auteur ressent dans sa démarche une profonde proximité avec les moralistes du XVIIème. Il ne veut pas tricher avec la chronologie. Il y a des époques morales dans la vie, qui correspondent à des états du corps et de l’esprit mais aussi de la société. « Je vise à susciter une inquiétude quant à la vie qui est menée, celle des autres et la mienne » me dit Jean Pierre Vidal. « J’ai grand souci de la phrase, de la juste formulation de chaque chose vécue qui doit trouver son énonciation exacte, voire même sa maxime. » C’est pourquoi l’auteur est à la recherche d’un langage qui rejette l’invention et l’imaginaire pour trouver la formulation la plus exacte possible de ce qui a été vécu et rencontré.
Dans ce livre, la composition n’est pas non plus thématique ; elle témoigne d’états de l’esprit et du monde (comme on pourrait parler d’états en gravure). L’écriture s’y révèle comme trajet mental, support et lieu inépuisable de réflexions pour tenter d’habiter encore, de façon toujours renouvelée, ce qui fut vécu. Grand lecteur d’auteurs aux orientations variées, voire opposées, Jean Pierre Vidal trouve nécessité intérieure à se relire, pour relier, toujours plus au présent, ce qui fut à ce qui est, dans son poids d’épreuves, de doutes, beauté et respirations. A la lecture des autres, il peut toujours plus précisément ajuster sa propre position, ses choix impliquant à chaque fois la totalité de sa vie.
Cette décantation du vécu, sa temporalité, n’est nullement nostalgie du passé. Elle s’inscrit au quotidien, soumise à un impératif exigeant de justesse, d’approche véridique du sens qui traverse actes et pensées. D’un livre à l’autre, nous en recevons le témoignage. Ce n’est pas seulement de notes qu’il s’agit, comme pour la plupart des journaux où la biographie s’affiche en tant que telle, mais d’un effort continu pour penser les « transformations silencieuses » et existentielles qui mettent en jeu mémoire et amour, nature et culture. Ces transformations se manifestent par une composition du livre qui, de ce fait, n’est ni journal ni carnets au jour le jour. Ainsi les dates qui servent de bornes de repérage temporel ne sont-elles pas mentionnées dans ce livre. Du souci de la phrase au souci du livre en son entier, l’auteur compose un temps autre, propose une lecture du temps qui n’est pas hors du temps, mais ce qui le constitue en chacun de nous, comme si nous étions faits de ces instants. Jean Pierre Vidal sait que chaque événement vécu ne peut se suffire du repérage par date, heure ou mois car l’important est justement d’écrire un texte qui dépasse la validité de la journée, lui apporte un nouveau sens, perpétue ou suscite d’imprévisibles rebondissements.
Par l’effort d’écriture et le rapport à l’autre que sont toute lecture nourrissante et toute rencontre humaine, la pensée se cherche et se découvre petit à petit. Elle dessine, sans le décider, son projet au plus vivant. Ses références sont peu nombreuses mais fondamentales : Rimbaud, André Dhôtel, Simone Weil. Sans trêve, l’auteur interroge une terre perdue, natale, interroge cet abîme du temps et de l’espace qui sépare êtres et lieux et ne peut réparer son unité perdue qu’en trouvant la bonne distance, cela jusque dans l’écriture. Je pense aux livres « Adieu » ou à « Requiem » de Gustave Roud ou à « La mort de Virgile », où Hermann Broch écrit : « Celui-là seul qui vit dans l’empire intermédiaire […] celui-là seul a une vision de la mort. »
Ainsi y a-t-il, assumées, dans les pages du livre de Jean Pierre Vidal, une force vitale et une fragilité – un instinct tourné vers l’amour comme providence, et une poésie qui est essentiellement manière d’être au monde. L’enjeu de la poésie est autant dans la langue que dans la vie même ; elle est une expérience du langage aux prises avec le risque de toute rencontre – une manière singulière de se rebeller contre ce qui opprime la conscience (comme le primat des mots sur le sens profond). L’écriture est pensée où prose et poésie s’échangent d’entrée de jeu, gardent souci du monde, de ses aliénations, sans vaine littérature ni oubli de la finitude. L’homme est au centre, l’homme réel et vrai, qui n’a souci que d’aller à la rencontre pour tenter de « comprendre le monde sans le saisir ».
II
Il y a des livres dont on ne peut emprunter les voies ou suivre les lignes qu’en prenant le bon aiguillage. C’est, dans celui-ci, nécessité. Se défaire de tous ses bagages pour lire à nu, dans le vif du vécu. Étrange d’apprendre qu’un aiguillage est composé d’une partie mobile et d’une partie fixe et que la partie où se croisent les voies est appelée le cœur. Ici l’auteur nous place à la croisée de ses mouvements les plus intimes, sans se masquer. Ses notes ont décanté l’expérience vécue et l’auteur cherche à en tirer pensées et forme d’enseignement. Son écriture est un témoignage vivant, un « Exercice de l’adieu ».
L’écriture « ne vise qu’à retrouver ces moments où la grâce m’a été donnée » dit Jean Pierre Vidal. Par l’attention à l’autre, la contemplation, l’observation sévère ou l’admiration spirituelle, la présence partagée trouve sa juste amplitude. Mais comme l’écrit Dante dans le dernier chant du Paradis : « La personne même du témoin est ce témoignage. »
L’auteur questionne ici la perte, la finitude, l’inachevé, le manque et le manquement à l’autre. Il témoigne des souffrances et des difficultés à vivre et penser ce vécu. Il témoigne des beautés passagères et celles, plus durables, qui éclaircissent les jours mais dont on finit par être séparé.
Comment écrire ce qui fut vécu, qui dépasse le pouvoir des mots ? « Comme est celui qui voit en rêvant ce qui, après le rêve, laisse une impression profonde et aucun souvenir ne revient » (Dante), le poète écrit à partir de cette vision imprimée dans le cœur, mu par un désir de vérité et d’unité. Son travail est une réflexion autour de la mémoire et de l’acte d’écriture où le témoin finalement compte plus que le témoignage. Mais y aura-t-il un témoin pour le témoin ? (Ce fut la question de Paul Celan)
Il s’agit d’une disposition d’esprit, d’une disposition vitale en regard de toute existence. Être le témoin en personne, singulier et anonyme.
Tenter d’établir une relation sincère, profonde, au monde, par un vrai « travail d’amour », détaché des conventions sociales. Chercher à percer en l’autre sa voix, tenter de l’aider à trouver sa place en lui rendant grâce, cette place si singulière venue de l’enfance. Il s’agit d’apprendre ensemble à se reconnaître dans l’inscription véridique des différences. L’auteur, en moraliste, devient un élément conducteur, un poète libre d’aller, de créer en chacun l’élan d’un mouvement bienfaisant, une forme de mutation éthique.
Chaque rencontre, dans ce livre, est chemin d’obéissance ̶ est écoute et dénuement, un lieu de paroles et d’amour que rien n’apaise, avec parfois le sentiment d’une étrangeté irréconciliable de l’autre en soi. C’est un travail de dépossession par l’écoute attentionnée de la souffrance et de la beauté du monde, pour un surcroît possible de vie.
Si le langage va souvent au-delà de la réalité, la devance ou la précède, l’auteur cherche à tenir le présent vécu dans une exactitude toujours à reformuler, à repenser. Son écriture s’ouvre autant à l’absence qu’à cet insaisissable présent que l’attention dilate, lui donnant forme et sens.
©Marie Alloy (tous droits réservés)
par Marie Alloy | 1 commentaire
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Présentation par l’auteur :
« On l’aura bu jusqu’à la lie, ce siècle vingtième où il fallut naître. Que reste-t-il de nous à son sortir? Des fragments. Osons donc, selon le vœu du grand Mario Luzi, le geste du « Baptême de nos fragments ». Non pour les embellir, mais pour les confier à ceux qui peut-être sauront les prendre pour reconstruire une maison de mots, après les grandes destructions. Il faut toujours faire le pari d’un demain. C’est donc le récit d’un apprentissage, de l’exercice de l’adieu. »
©Jean Pierre Vidal
Premier ouvrage de la collection Les Cahiers du Silence. Tiré à 500 exemplaires et imprimé sur les presses de l’imprimerie Laballery à Clamecy. Dépôt légal, 10 décembre 2018. Format 30 x 13 cm. En couverture “A l’instant suspendu“, huile sur toile de Marie Alloy. ISBN 9782956331421. Prix public : 15 €
Commande et renseignements : marie.alloy@orange.fr
BON DE COMMANDE EXERCICE DE L’ADIEU PDF
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