“Chaque fois que l’aube paraît le mystère est là tout entier”
René Daumal
Poésie noire et poésie blanche.
« Mais où est la poésie en tout cela, direz-vous ? La vraie, la grande, celle qui vous dresse, le cheveu hérissé et la gorge sèche, qui vous divise au diamant en vos parties constituantes, et vous rassemble en même temps en une flèche droit décochée à la vitesse où tout meurt en lumière, qui poigne, oriente, embrase et voue, la vraie, la grande ?
Celle-là n’est pas future, celle-là n’est pas passée, elle est ou elle n’est pas. Dans le silence hors de tout temps où elle veille, plongeons sans esprit de retour. Beaucoup s’y noieront, quelques-uns l’en feront jaillir. »
René Daumal, « Chaque fois que l’aube paraît », 1942.
Joseph Sima, artiste tchèque, a été LE PEINTRE du “Grand Jeu”. Roger Gilbert-Lecomte, André Rolland de Renéville et René Daumal, ont participé activement à ce mouvement qui ne se voulait pas littéraire ou artistique, mais avant tout une aventure de l’expérience humaine, à la recherche d’une connaissance qui soit porteuse de vérité métaphysique. Les jeunes gens mettent au point un principe qu’ils appellent la métaphysique expérimentale dont le but est, à travers des expériences d’écriture, de création mais également de drogue et d’expériences physiques, d’essayer d’approcher une connaissance absolue de l’être.
Luc Dietrich avait été initié à la photographie par André Papillon. Il avait réalisé et publié un recueil de son vivant : Terre (Denoël). Un autre ouvrage avait semble-t-il disparu, quand Jean-Daniel Jolly-Monge, disciple de Lanza del Vasto, exhuma et compléta patiemment ce second ouvrage : il fut publié bien après la mort de ces protagonistes par les éditions Le temps qu’il fait sous le titre Emblèmes végétaux (1993).
TERRE
Livre comprenant vingt textes de Luc Dietrich et trente photographies de l’auteur
TERRE. Édition de 1936, Denoël & Steele.
Feuillet publicitaire pour annoncer la parution
Manuscrit autographe de Luc Dietrich
Photographie de couverture
Quelques extraits de TERRE
LA MEULE
A bout de fourche, nous poussons les gerbes dans le ciel, et tandis que l’orage hâte notre dernier effort, cette chapelle de blé s’établit et se couvre. Les premières gouttes tombent, mais nous ne craignions plus pour notre grain, nous avons confiance en cet ordre qui de la tige a fait un toit pour protéger l’épi.
ROSES D’AOUT
Pleines d’eau, elles se sont inclinées, puis assoupies dans la lourdeur des fruits qui vont quitter la branche.
“Dans l’abîme doré, rouge, glacé, doré, l’abîme où gîte la douleur, les tourbillons roulants entraînent les bouillons de mon sang dans les vases, dans les retours de flamme de mon tronc. La tristesse moirée s’engloutit dans les crevasses tendres du cœur. Il y a des accidents obscurs et compliqués, impossible à dire…”
Extrait de : “La tête pleine de beauté“, Flaques de verre, Pierre Reverdy.
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“Mais, surtout, le front troué par les épines, le cœur d’où sort la flamme et les yeux éplorés – le regard frappe au ciel et la porte qui s’ouvre laisse entrevoir l’espace où remuent les formes mortes sur les chemins tracés par un doigt lumineux.”
L’homme aux étoiles, Flaques de verre, Reverdy.
L’ombre d’ambre
Photographies originales de Marie Alloy (droits réservés)
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“Rien ne vaut d’être dit en poésie que l’indicible,
c’est pourquoi l’on compte beaucoup sur ce qui se passe entre les lignes.”
En annexe, une photographie confiée à nos regards par Frédéric Richaud, auteur d’une biographie sur Luc Dietrich, parue chez Grasset en 2011.
en écho au poème de Luc Dietrich “La main et la feuille” et au livre d’artiste récemment interprété par Marie Alloy avec des gravures.
Une autre photographie de Luc Dietrich accompagnant son poème
Herbes sur le mur
Le vent apporte un peu de terre et septembre apporte la graine. Au sommet de ce mur poussent les plantes droites. Sensibles au moindre souffle, traquées de vent, sensibles au sec quand la pierre est brûlante, vivant au hasard des pluies qui prolongent leurs agonies, elles élèvent pourtant leurs semences jusqu’au ventre du ciel.
Impressionnant manuscrit autographe du cycle des “Emblèmes végétaux”, rédigé à l’encre et au crayon avec de très nombreuses variantes, ratures et corrections sur différents supports, voire au verso de tirages photographiques découpés de l’auteur, certaines pages étant enluminés de dessins.
Annoncé dans l’édition de 1941 du “Bonheur des tristes”, les “Emblèmes végétaux” est le dernier livre de Luc Dietrich. Le manuscrit définitif fut déposé aux Éditions Denoël fin octobre 1943, puis égaré. Il a été reconstitué par Jean-Daniel Jolly-Monge à partir de ces brouillons, pour paraître cinquante ans plus tard aux éditions du Temps qu’il fait en 1993, accompagnés de photographies de Luc Dietrich.
Les 16 premiers feuillets sont contenus dans une enveloppe portant cette note autographe de Luc Dietrich: “Manuscrits Thèmes végétaux recopiés au propre”. L’ensemble dans une chemise de papier cartonné datée et titrée à l’encre noire par Dietrich: “Thèmes végétaux (copie manuscrite au net) 1943” et annotée d’un sommaire autographe par l’auteur. Certains des poèmes ont été publiés dans “L’Injuste Grandeur” ou “Le Livre des rêves” aux Éditions Denoël en 1951 (Les derniers jours de l’automne; L’ombre tourne toujours…) ou encore dans la revue L’Esprit des lettres n°6 de 1955 (Les deux arbres morts, L’eau vivante…). Les 34 feuillets suivants sont constitués des pièces marginales aux “Emblème végétaux”, considérés comme les derniers poèmes de l’auteur (L’abîme, Intimité végétale, La construction d’une force…). Ils sont publiés dans le volume “Poésies de Luc Dietrich” paru aux Editions du Rocher en 1996. De nombreux passages sont inédits. «Et l’arbre aussi est venu: pont vivant entre l’eau sans mémoire et l’air sans consistance. Et voilà que pour un instant tout demeure centré sur la fragilité d’une boule de feuillage. Ils sont venus serrés comme des dards de l’herbe, comme les mille vies de ce pré toujours vert, ils sont venus pressés comme graine nouvelle, ils sont venus collés comme laitance fraîche, ils sont venus mourir comme bulle en surface: les hommes.»
On a joint 12 photographies de Luc Dietrich du cycle des “Emblèmes végétaux” de différents formats (16,5 x 16,5 cm à 24 x 16,5 cm), tirages argentiques postérieurs, reproduits dans l’édition des “Emblèmes végétaux».
On joint également une lettre autographe signée de Dietrich à Lanza Del Vasto (une page in-8), relative aux “Thèmes végétaux”: … «Je te parlerai des «Thèmes» au retour. J’ai ajouté de bons éléments, je crois. Il me faudra ta pression pour rejaillir encore tant je manque d’entrain pour le geste gratuit d’écrire. En ce moment, j’écris des notes, des lettres de «travail», des constatations, etc. Pourtant je les aime ces «Thèmes», j’aime surtout ceux où se nichent une grande et terrible pensée (qui n’est pas la mienne) dans une forme qui «va de soi», comme tu dis.» Éclairant et magnifique ensemble.
Rédigé par la librairie Vignes (quartier Latin) qui détient ce précieux document. Librairie Henri Vignes, 57 Rue Saint-Jacques, 75005 Paris
Article trouvé sur : Referência : 55593 Buscar – thèmes végétaux – Livre Rare Book Luc DIETRICH.
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Un portrait émouvant de Luc Dietrich écrit par Michel Random (Revue L’esprit des lettres, novembre-décembre 1955)
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Ci-dessous, photographie de René Daumal (peu de temps avant sa mort), prise par Luc Dietrich.
Lanza del Vasto et René Daumal : souvenirs audios de leur amitié
Les Nuits de France Culture ont récemment rediffusé une émission de Michel Random, diffusée pour la première fois en mars 1968 : “La recherche d’une certitude. Portrait de René Daumal”. On y entend la voix grave de Lanza del Vasto, évoquant son ami disparu en 1944.
Poète, indianiste, chercheur de vérité, passionné de connaissance spirituelle et d’expériences intérieures, René Daumal a été proche de Lanza del Vasto pendant la guerre. À Allauch près de Marseille, où ils étaient voisins, les deux hommes ont beaucoup échangé sur leurs quêtes respectives, plus nocturne chez l’un, plus lumineuse chez l’autre. Mais tous deux convenaient que ce monde intérieur n’est pas inaccessible : “La porte de l’invisible doit être visible”, écrit Daumal dans Le Mont Analogue.
L’émission retrace le parcours singulier et douloureux de cet auteur hanté par l’inquiétude de l’au-delà. Nous en avons extrait deux passages significatifs.
Le premier montre combien René Daumal se faisait une haute idée de la connaissance comme acte total, engageant tout son être. Lanza del Vasto rappelle à ce sujet que Daumal avait étudié le sanscrit et qu’ils partageaient des projets de traduction :
Le second rend hommage à la générosité de Daumal, son attention aux autres, son amour pour Véra et sa conversion au christianisme sous l’influence de Lanza del Vasto. Ce dernier évoque aussi la figure trouble de Gurdjieff, par qui le couple fut influencé :
L’émission entière peut être réécoutée pendant quelques mois sur le site de France Culture.
Un premier stage dans l’atelier d’Amandine Julien pour une initiation aux cyanotypes et virages.
Merci à la photographe qui sait si bien transmettre!
Une nouvelle (ancienne) voie d’interprétation de l’image, entre cyan et bleu de prusse ou d’autres nuances, pour réinventer la mémoire des lieux, des visages, objets et ombres passantes…